Les
Verrats, ce sont trois amis, David, Marco et Samuel, petits délinquants dont
les errances et les méfaits se trouvent au cœur du dernier roman d’Edouard H.
Bond, auteur de Prison de poupées et de Maudits (Coups de tête).
Saluons d’emblée l’initiative de
VLB d’éditer le dernier roman d’Edouard H. Bond. Il fallait de l’audace pour
publier ce livre au contenu cinglant – audace méritoire : l’auteur a l’une
des voix les plus personnelles de la littérature québécoise contemporaine. Il
possède un style, des thèmes, une esthétique et un univers immédiatement
reconnaissables. Le rapport de Bond à la langue québécoise, par exemple,
constitue l’une de ses particularités (il utilise le « joual » de
façon créative), de même que son intérêt pour la notion de transgression au
sens large, que l’on retrouve dans ses autres livres.
À la
différence de ses deux romans parus chez Coups de tête, Bond opte ici pour une
approche plus sociologique et néoréaliste, en évitant les écueils du didactisme
et de la prise de position morale (le 4e de couverture peut donner
cette impression, mais il n’en est rien à la lecture du livre).
Le lecteur
pourra parfois songer à Virginie Despentes (première période) pour les
protagonistes, leur langue vernaculaire, leur mode de vie anarchique et leur
rapport à la criminalité. Cependant, les romans de Bond sont plus éclatés que
ceux des Despentes ; ils se permettent des apartés et des dérapages contrôlés
qui évitent une narration trop linéaire. Fait intéressant à signaler, ils
s’inscrivent aussi dans la continuité de certains genres peu fréquentés
par les auteurs québécois : les récits de prison pour son premier titre (une
« bande-annonce » du roman circulait d’ailleurs voilà quelques
années, utilisant la musique et quelques images du film de Jess Franco 99 Women), le « slasher » pour
son deuxième opus et, dans ce cas-ci, les récits de délinquants juvéniles dont
le cinéma américain de série B a fait grand cas, notamment au courant des
années 50.
Le résultat
est une littérature punk et incisive, fortement ancrée dans le
Québec contemporain. Par ses scènes d’excès et son refus des compromis, le
livre n’est pas destiné à un public de lecteurs timorés. Même en étant
prévenus, il faut s’attendre à être secoués, mais cela me semble être salutaire :
la littérature devrait être un concentré de vie et d’intensité, et non le
contraire – encore plus à une époque où elle subit la concurrence des médias
audiovisuels.
Au chapitre
des qualités du roman, soulignons ses protagonistes, tantôt mal dégrossis,
tantôt tendres, simultanément cyniques et naïfs, blasés et en quête d’un absolu
inaccessible. La fin du roman laisse une impression à la fois triste (le
narrateur est lui-même victime du caractère « jetable après usage » des
relations interpersonnelles – « Le party était fini », écrit-il en
fin de course, phrase interprétable à deux niveaux), désabusée (la « sale
gueule » du narrateur semble symboliser le résultat de l’ensemble du
roman), mais non dépourvue d’humour (la toute dernière réplique du roman), d’une
volonté de lucidité (les deux dernières pages) et de complicité amicale. Cette
alliance de contradictions fait en sorte que l’ouvrage évite les raccourcis
faciles et les évidences. La relation du narrateur avec le personnage de
Gabriel (le frère de l’un de ses amis, qu’il admire) en fournit une
illustration, ce qui nous vaut plusieurs scènes dont l’ambiguïté n’est pas le
moindre des atouts. À d’autres moments, Bond se permet des excursions plus ou
moins brèves à l’extérieur de son récit principal, excursions qui nous valent
d’intéressantes surprises et qui témoignent d’une volonté de pratiquer une
littérature libre – ainsi, l’allusion à La Cannibale de Repentigny que
saisiront les habitués de l’auteur.
Enfin, et
ce n’est pas la moindre des qualités, le livre se lit d’une traite, comme c’est
le cas des autres romans de Bond. Les lecteurs qui cherchent une littérature
intense seront donc avisés de se procurer ce roman en attendant les prochains
opus de Bond.
1 commentaire:
de très bons morceaux choisis sur la banlieue ;-)
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