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22 août 2011

Sade et le cinéma

Ce n’était pas un mince défi que de s’attaquer – sérieusement – aux liens entre Sade et le cinéma. D’emblée, Jacques Zimmer précise qu’il ne s’agira pas de traiter du « sadisme » au cinéma (ce que d’aucuns ont déjà fait, partiellement), mais des œuvres qui se réclament explicitement de Sade. Deux volets sont analysés dans cette étude : l’œuvre et la vie de Sade, telles qu’adaptées par les cinéastes.


Fait intéressant, Zimmer ne se borne pas aux représentations cinématographiques, puisqu’il fait sans cesse dialoguer des sources écrites (récits de Sade, mais aussi éléments biographiques de spécialistes tels que Gilbert Lély), aspects historiques (notamment sur la censure), citations d’écrivains comme Flaubert… L’ouvrage, par ces liens originaux, donne donc lieu à une lecture fort stimulante qui porte à réflexions, entre autres grâce au sens des nuances de Zimmer. Ce dernier se plaît à rectifier des idées reçues ou des simplifications.

Un cas de figure majeur est constitué par les films qui narrent la vie de Sade. Les approximations, affabulations, erreurs chronologiques sont relevées – pas toujours comme des faiblesses des œuvres, d’ailleurs, car les qualités d’un film ne relèvent pas forcément de son adéquation au réel. Les apparitions plus ou moins farfelues du Marquis dans certaines œuvres sont aussi prises en compte, par exemple dans le film fantastique de Tobe Hooper Night Terrors.

La section de l’ouvrage consacrée aux adaptations des œuvres de Sade est aussi fort éloquente : elle montre bien la difficulté, pour les cinéastes, de représenter Sade, représentation qui se heurte sans cesse à une foule de problèmes : censure, limites du représentable, transfert problématique de l’écrit à l’écran, difficulté de faire « rendre » le texte sadien par les comédiens, etc., un cas patent étant l’adaptation que fit Claude Pierson de Justine, adaptation très fidèle qui, malgré tout, fut reçue avec perplexité ou méfiance par les critiques. On se rend compte aussi, à la lecture de l’ouvrage, que les adaptations de Sade ne furent pas si nombreuses et qu’un grand nombre d’œuvres du Marquis n’ont pas fait l’objet d’une transposition à l’écran.

Deux figures se détachent, celles de deux cinéastes que le Vatican jugea jadis comme les réalisateurs les plus dangereux du 20e siècle : Bunuel et Jess Franco. Si le premier est bien connu, le second, un maître de la série B, l’est moins du grand public. Zimmer fait clairement ressortir l’appropriation obsédante de l’univers sadien par Franco à travers ses adaptations, mais aussi à travers ses scénarios originaux ; le réalisateur espagnol déclina, tout au long d’une filmographie considérable, autant de variations sadiennes qui se fondent et se confondent en une sorte de long-métrage sans fin.

Zimmer a rencontré, pour l’ouvrage, plusieurs personnalités qui lui ont accordé des entretiens inédits, notamment Jess Franco et Jean-François Rauger, directeur de programmation de la Cinémathèque française. La conclusion du livre, elle, offre un vibrant plaidoyer pour un imaginaire libre.

Le lecteur qui connaît bien Sade ne sera pas déçu, puisqu’une foule de petits détails plus ou moins connus enrichissent l’ouvrage et permettent d’en apprendre plus au sujet de l’écrivain célèbre.

On signalera également un grand nombre d’encadrés qui permettent de fureter à travers l’ouvrage et d’obtenir un supplément d’informations sur divers éléments : résumés de romans, extraits de critiques de journalistes, changements dans la classification des films au fil des années, etc. Ces aspects renforcent la densité de l’ouvrage en question. Relevons, pour terminer, une agréable iconographie, dont 16 pages en couleurs au milieu de l’ouvrage.


30 juin 2011

Richard Blade, mon héros (lectures coupables - 1)

C'est connu : l'été est souvent synonyme de légèreté. La chaleur fait-elle fondre nos cerveaux ? Possible ! Toujours est-il que je réponds présent lorsque vient le temps d'inscrire mon nom sur la grande liste des lectures coupables. L'an dernier, je vous présentais la série Blade, qui compte à présent 200 titres à son actif. Paradoxe : je ne connais personne qui ait lu un seul tome de cette saga, et pourtant, ça se vend, sinon l'éditeur cesserait d'en publier, forcément ! Que faut-il comprendre à ce mystère...?

Afin de tâcher de l'élucider, j'ai lu le tome 4, un opus pas triste sobrement intitulé Les Esclaves de Sarma.D'entrée de jeu, on a droit à cette description de notre héros :

"Richard Blade n'avait jamais été fait pour jouer les amoureux transis. Massif, extraordinairement beau, musclé, doué d'un cerveau aussi remaquable que son corps superbe, c'était un homme créé pour les exploits héroïques."

Voici maintenant un succulent résumé qui vous donnera une idée du contenu... pittoresque...

Il faut d'abord savoir que l'agent secret Blade voyage dans des dimensions inconnues grâce à un ordinateur sophistiqué. Son but : en rapporter des connaissances ou des objets qui pourraient être utiles à l'organisme pour lequel il travaille.

Le roman commence en nous apprenant l'existence d'un double russe de Blade, qui a passé son existence à l'imiter (sans jamais le rencontrer !) pour prendre sa place et damer le pion à l'original. Il parvient à ses fins, malgré l'existence d'un troisième Blade (!), acteur engagé pour confondre le deuxième Blade. Pendant ce temps, le premier Blade, lui, se fait kidnapper par ses ennemis. Cependant, le deuxième Blade a profité de la confusion pour filer dans une autre dimension ! Le premier Blade doit donc le rejoindre et l'éliminer. Qu'arrive-t-il au troisième ? Mystère !Puisque notre héros (Blade Ier) est surdoué, il échappe à ses ravisseurs et s'enfuit dans la même dimension que Blade II : Sarma.

Dès son arrivée, Blade sauve un professeur, le petit Pelops, qui l'aidera à en savoir plus sur le nouveau monde dans lequel il est évolue désormais. Esclave en fuite, le petit bonhomme deviendra l'allié de Blade, malgré les réticences de notre héros : "Je comprends pourquoi on t'a fait esclave. Ça te va, l'esclavage."

Avec un peu de ruse, Blade capture la princesse Zeena, une amazone qui pourchassait Pelops. Étant un amant redoutable, Blade la séduit sans plus attendre, avec ce résultat : "Bientôt, elle se soumit, elle perdit son expression suffoquée et oublia que les femmes régnaient à Sarma et chercha à tout instant des occasions de se glisser sous lui." Coquine !

Mais notre Blade cherche toujours son rival russe ! Il se rend donc à Sarma... Son amante, la princesse Zeena, est punie par sa mère pour s'être éprise du valeureux Blade : on l'envoie sur un bateau, histoire de calmer ses ardeurs ! Quant à Blade, lui, il devient l'amant de la mère ! L'homme est en effet fin stratège, nous apprend l'auteur : "Il savait par expérience qu'une femme repue était prête à tout pour l'homme qui l'avait pleinement satisfaite."Soit, mais cela ne règle pas le problème du sosie russe... Après une bataille navale organisée par la reine (au terme de laquelle il propulse son ennemi sur... un autre ennemi, grâce à une catapulte géante), notre Blade Ier prend la fuite, retrouve Zeena (devenue folle après un séjour forcé chez les pirates) et rencontre enfin son sosie dans un royaume sur lequel règne Canda, une princesse aux appétits dévorants.

Notre homme devient vite l'amant de Canda, qu'il partage avec son sosie. Pourquoi ? Pour décider lequel des deux survivra, c'est-à-dire le meilleur amant. Les chances semblent se porter sur Blade, puisque le Russe a besoin de stimulants pour rendre ses performances plus intenses. Blade, bien sûr, s'en passe allègrement.

Mais voilà que l'ordinateur qui l'a expédié dans ce monde parralèle cherche à les rapatrier, lui et son double. Le double a alors une idée astucieuse : s'il fume de la drogue, son cerveau sera suffisamment modifié pour échapper aux investigations de l'ordinateur.

La fin lui donne raison, car seul Blade est rapatrié dans la dimension N (pour "normale"), alors que le vilain sosie russe demeure à jamais à Sarma, régnant, on le suppose, en compagnie de la princesse Canda.

FIN

06 mai 2011

Bob Morane se dévergonde

La plupart des lecteurs qui s'intéressent aux littératures dites « de l’imaginaire » ont, à un moment donné, vécu une sorte d’épiphanie, c’est-à-dire qu’ils ont lu une œuvre du genre qui les a marqués et étonnés. Dans mon cas, les livres publiés au cours des décennies 1960 et 1970 par l’éditeur belge « Gérard » (situé à Verviers, Belgique) jouèrent un rôle indéniable, plus spécifiquement ceux de la collection « Marabout ». S’y retrouvaient les Jean Ray, Thomas Owen, Claude Seignolle et autres Michel de Ghelderode. Une écriture atmosphérique s’y déployait, de même qu’un goût délibéré pour l’étrange.

Mais comment en suis-je arrivé à Marabout et à Jean Ray ? D'abord via un classique de la littérature jeunesse, j’ai nommé les aventures de Bob Morane, signées par Henri Vernes. Vernes mentionnait souvent le nom de Jean Ray dans ses romans, allant même jusqu'à raconter la rencontre fictive de son héros et du légendaire écrivain (voir notamment l'épisode intitulé Trafic aux Caraïbes). En ce qui concerne Bob Morane lui-même, je dois cette découverte à mes parents qui m’avaient mis sur la piste dès mon jeune âge. Trois livres de cette série se trouvaient en effet dans la bibliothèque familiale. L’un de ces trois livres – que je n’ai jamais relu depuis, peut-être le devrais-je, mais faut-il vraiment revivre nos étonnements d’enfant avec des yeux d’adulte, au risque de les dénaturer ? – était un texte étonnant intitulé Krouic, aventure surréaliste qui narrait l'errance de Morane au sein d'une maquette ensorcelée où s’animaient différents personnages.Par la suite, je devins fan et lus plusieurs de ces petits romans d’une qualité inégale. Les meilleurs d’entre eux avaient toutefois de quoi nourrir l’imaginaire, entre autres cette curieuse saga des « Crapauds » se déroulant dans un décor déliquescent et gothique à souhait ou un cycle qui voyait Morane parcourir de bizarres univers parallèles : le cycle d’Ananké.

Quelques recherches web récentes m’apprirent voilà quelques mois que Vernes avait aussi publié des romans pour adultes au début des années 1980. Peut-être lassé par Morane, il avait entrepris une mini-saga (11 romans) initialement publiée au Fleuve Noir et mettant en vedette un héros : DON. Curieux d'évoquer mes souvenirs d’enfance, mais dans un contexte original (Vernes, auteur pour adultes ?), je me suis donc procuré le premier tome de cette saga avec curiosité. Attention, page couverture radioactive :Alors, de quoi ça parle, Don ? Au départ, on a un héros bobmoranien (nommé John King, ne lésinons pas), mais moins immaculé que son modèle. Le quatrième de couverture nous l'apprend sans détours : Don, c’est "le petit-fils du chef des chefs de la Mafia". Notre homme a décidé de ne pas prendre la succession des « affaires » familiales. Traqué par différents mafieux qui préféreraient le voir disparaître, il parcourt le globe, gagnant sa vie en effectuant des travaux de mercenaire parfois louches, qui lui permettent d’accumuler quelques dollars rapidement dépensés.

L’arrière-plan étant établi, l’histoire peut commencer : notre Don, en fuite, bien sûr, est convoqué dans un entrepôt pour rencontrer les dirigeants d’une entreprise douteuse, Imporex, laquelle lui assigne une mission classique : retrouver, à Rangoon, un agent de la CIA qui a révélé des secrets d’état après avoir été soumis à une « drogue de la vérité ». On promet à Don une belle somme s’il réussit et on lui garantit la mort s’il échoue (bravo pour les nuances). Don accepte , ce qui lui vaut cette réplique de son employeur, "l'homme au chapeau Eden" :

- Nous savions que vous étiez un homme sage, Mister King...

Rapidement, on arrive à un constat : notre homme évolue dans un univers qu'on pourrait qualifier de "version infernale de Bob Morane". Je n’ai pu m’empêcher de sourire en retrouvant certains des tics d’écriture d’Henri Vernes que je croyais avoir oubliés. Par exemple, notre héros – nyctalope, bien sûr ! – frappe toujours ses ennemis au plexus solaire. Cet endroit du corps humain m’intriguait beaucoup quand j’étais jeune, à cause de l’adjectif « solaire » qui évoquait dans mon esprit enfantin des images de chaleur cosmique.

Au-delà d'un récit somme toute très classique, là où Henri Vernes m’a surpris, c’est dans sa description très franche de scènes violentes ou érotiques. On aurait dit que des années de privation littéraire sur ce plan avaient entraîné un retour du refoulé massif, nous valant une galerie de personnages tarés qui n’hésitent pas à commettre des actes éloignés du « politiquement correct ». Au menu (liste non-exhaustive) :

- La femme fatale Lucy Lu, qui possède un "visage étroit" d'où se détachent des "lèvres confortables" (!). Il faut bien la singulariser, après tout, puisque, selon l'auteur, "toutes les Chinoises se ressemblent, avec cette petite nuance qu'il y a les belles et les laides" ! Réplique-culte : "Entre les jambes ! Frappez-le entre les jambes !"

-Un duo d'adversaires de choc : Tun (personnage "énorme" et "aussi transparent qu'un papier de riz huilé") et son acolyte Tha (un "petit Birman"), lesquels s'acoquinent avec deux complices lépreux, Mina et Moy - vertigineux effet-miroir garanti. Réplique-culte et philosophique de Tun : "Faut faire ce qu'il faut".

- Madame Mu Mu, "une beauté altière, féroce, agressive" que Don finira évidemment par séduire. Réplique-culte : "J'aime votre conception de l'amitié, mister King."

Comme une série B d’aventures en roue libre, Le Fauve de Rangoon constitue une curieuse découverte pour l’ex-fan de Bob Morane, curieux de se colleter à une sorte de version maléfique du héros de son enfance. Ce doppelgänger sévit sur papier avec une hargne et une verve plutôt rigolotes, à prendre au second degré et... avec modération.

31 janvier 2011

Lectures et nouvelles hivernales

Comme les autres blogueurs le savent, il peut parfois être essoufflant de tenir un blogue, même de façon mensuelle comme c'est le cas pour moi. D'une certaine manière, le temps d'écriture est toujours du temps volé et, comme il est souvent rare, le temps consacré à un blogue devient doublement spolié - aux obligations quotidiennes et à l'écriture. En même temps, l'exercice n'est pas désagréable et correspond à une autre forme de communication.

Alors, quoi de neuf ?

Comme toujours, beaucoup de projets et trop peu de temps. Des films, des albums et des livres. Un environnement stimulant, aussi : beaucoup d'amis verront bientôt leurs nouvelles publications en librairie. Ainsi, j'ai bien hâte de tenir entre mes mains la novella d'Ariane, L'enfant sans visage (XYZ, à paraître ce printemps), un roman de science-fiction à l'imaginaire généreux et aux images fortes. J'ai vu, non sans émotion, avec quelle ferveur et quel dévouement Ariane s'est consacrée à ce livre. Mon ami Michel Châteauneuf publiera aussi (même éditeur, même collection !) une novella réaliste qui nous replonge dans les années 1980 : Bad Trip au 6e Ciel. La créativité stimule la créativité, aussi est-ce fort agréable d'évoluer dans un environnement où la création est primordiale.

Sans doute à cause d'Ariane, qui est l'une lectrice les plus assidues que je connaisse, j'ai aussi intensifié mes lectures, depuis un an. Parmi celles-ci, un ouvrage se démarque, à titre de montagne russe infernale : L'Écho des suppliciés, de Joël Houssin, roman qui déploie tous les moyens possibles pour atteindre une sorte de zénith dans l'horreur. L'auteur a mis au service de son récit une plume-scalpel qu'il trempe dans le sang, non sans faire preuve, au détour de quelques passages, d'un humour féroce. Clairement, et au delà du cliché, l'ouvrage n'est pas à mettre entre toutes les mains. Plus qu'une simple charge "gore", il repose sur des bases métaphysiques quant à la souffrance humaine et à ses répercussions. N'empêche : le livre exhale une odeur de terre incendiée. Je me demande ce qu'en auraient pensé les exégètes de Sade ou les surréalistes.
(Photo de Joël Houssin)

En ce moment, je termine la lecture d'Entre les bras des amants réunis, de Claude Bolduc, ouvrage que j'apprécie pour la rigueur de son écriture (certains textes bénéficient d'une grande recherche formelle, par exemple "Le Masque", la novella qui donne son titre au recueil ou l'extraordinaire pastiche de Jean Ray qui clôt l'ouvrage de façon remarquable) et pour le talent de Bolduc à créer une atmosphère dense. Cette ambiance est souvent empreinte d'une tristesse de laquelle n'est jamais exempte la luminosité que dispensent les relations humaines (l'amitié semble être l'un des thèmes de prédilection de l'auteur, thème qu'on retrouvait également dans son roman-jeunesse Là-haut sur la colline).Enfin, autre lecture en cours : L'Envers du rock, de Nick Kent, qui propose au lecteur une série de portraits corrosifs de rock-stars chancelantes qu'il a suivies au cours de leurs dérives. Kent a mis une écriture lucide et souvent très drôle au service de chapitres consacrés à des icônes décrites dans des situations peu glorieuses. Kent s'est efforcé d'être le plus juste possible, sans complaisance, mais sans animosité non plus. Après avoir risqué de graves blessures à cause de Sid Vicious (du légendaire groupe punk The Sex Pistols) et avoir été intimidé par Shane Mac Gowan (The Pogues), il tâche de peser le pour et le contre avec le plus d'équité possible. Lecture fort intéressante, à coup sûr, dont ces mots de Joël Houssin, justement, rendraient compte avec pertinence :

"Gardons-nous d'être secs avant l'âge. Qu'éclate le rire dans nos lignes et que dansent les morts-vivants !"

01 janvier 2011

Jean Rollin (1938-2010)

Puisqu’une nouvelle année permet souvent d’établir le bilan de celle qui l’a précédée, il est impossible pour moi de passer sous silence le décès du cinéaste-écrivain français Jean Rollin, survenu le 15 décembre dernier. Avec cette disparition, c’est tout un monde qui s’en va, et je ne peux y penser sans nostalgie. Au fil d’une longue carrière, Jean Rollin s’est distingué par son univers fantastique très personnel et sans équivalent. S’il aborda aussi d’autres genres (la comédie, le polar, l’érotisme, le drame), sa prédilection allait à l’onirisme et aux récits étranges.Son œuvre littéraire est hélas moins connue que ses films, mais elle constitue l’une des portes d’entrée majeures dans son monde. Jean Rollin a en effet écrit plusieurs romans, nouvelles, essais et préfaces, en plus de signer le scénario d’une BD (Saga de Xam) et de rédiger, récemment, ses mémoires. Fait moins connu, il fut aussi un animateur littéraire tenace, qui dirigea pas moins de quatre collections (« Lumière noire », « Frayeur », « Poche Revolver Fantastique » et, la dernière, ma favorite : « Les Anges du Bizarre », pour l’éditeur Sortilèges, dans le cadre de laquelle il réédita les sulfureux George Maxwell et Max Roussel, en compagnie d’inédits de qualité, comme un étonnant roman d’Anne Duguël : Mon âme est une porcherie). Son travail de directeur de collection lui permit en outre de révéler des écrivains talentueux comme Pascal Françaix.Nous avons correspondu dès 1994, époque où je lui avais écrit pour manifester l’enthousiasme qu’avait suscité chez moi son roman Les Deux orphelines vampires. Par la suite, j’eus l’occasion de rencontrer Jean à quelques reprises, entre autres lors de la première parisienne de son film La Fiancée de Dracula, dans une salle remplie par ses collaborateurs et comédiens. C’était une expérience étonnante que d’assister à la projection de ce long-métrage en compagnie de la faune colorée assise dans une salle modeste. On avait tout à coup l’impression d’être plongé dans un autre monde, au sortir duquel, un peu sonné par cette immersion dans un univers fantasmagorique, j’accompagnai Christophe Bier dans un pub pour partager un « demi » en discutant de cinéma insolite.

Par la suite, Jean participa à l’édition 2007 du festival Fantasia, où il présenta La nuit des horloges, film biographique émouvant, d’une grande lucidité, annonçant déjà le décès à venir de son créateur. À cause d’ennuis de santé dont il souffrait depuis les années 90, Jean Rollin était très conscient du peu de temps dont il disposait, et ce constat se dégageait de ses derniers travaux. Cette édition de Fantasia nous permit, à mon ami Patrick et à moi, de réaliser une longue entrevue lors de laquelle nous nous sommes efforcés de poser des questions auxquelles n’avaient pas songé les journalistes qui l’avaient jusqu’alors rencontré. Jean nous parla avec enthousiasme de l’éditeur Éric Losfeld, des romans noirs français de l’après-guerre, des surréalistes et de beaucoup d’autres sujets, avant de s’éclipser subitement dans sa chambre d’hôtel pour en revenir aussitôt, porteur de cadeaux qu’il avait amenés avec lui.Mon ami Simon Laperrière, qui fut l’un des artisans majeurs de la venue de Jean Rollin à Montréal, en 2007, a écrit ici un texte émouvant à son sujet.

Pour ma part, de son vivant, j’eus l’occasion de lui rendre hommage à deux reprises. D’abord, en 1998, dans l’un des derniers numéros de la revue québécoise imagine…, où un dossier lui fut consacré, assorti d’une nouvelle et d’une entrevue réalisée en 1996. En 2001, Pierre Charles (le regretté fondateur de Cine-Zine-Zone) me contactait aussi pour solliciter des textes au sujet de Jean Rollin. Ils parurent dans le numéro 134 de ladite publication. Dans la «lettre ouverte à Jean Rollin» que contient ce numéro, j’écrivais entre autres :

« Vos œuvres détonnent lorsqu’on les compare à trop de films ou de romans fantastiques actuels, finalement encore plus banals et terre-à-terre que les romans les plus réalistes, car le fantastique y est toujours considéré comme un intrus qu’il faut exterminer, comme un élément indésirable qu’on combat avant de regagner le calme bourgeois d’une existence rassurante et cartésienne.
Au contraire, vous ouvrez les digues de l’imagination : vous instaurez une réalité cent fois plus chatoyante que l’autre, la « réalité » conventionnelle. Quand on lit vos romans, on ne sait jamais ce qui va arriver, car tout peut y survenir. Déjà, dans les années 60, vous définissiez ainsi le fantastique : n’importe quoi peut arriver n’importe quand.

Notre ami Mario Mercier a déjà écrit : « Tout ce que l’homme imagine existe déjà dans le rêve de création de l’Esprit universel ». Les orphelines vampires existent, c’est sûr, comme tous les autres, leurs amis Fantômas, le Fantôme de l’Opéra, « Valérie au pays des merveilles » ou les deux jeunes filles de Mais ne nous délivrez pas du mal, ce très beau film de Joël Séria qui rappelle constamment votre œuvre.

Je ne saurais la résumer en quelques phrases, car c’est avant tout une aventure, une expérience sur laquelle il devient difficile de porter un jugement tant elle est intériorisée. Vos films et vos livres contiennent autant de moments inoubliables vécus avec des personnages qui m’ont parlé comme trop rarement dans ma vie.

Merci, Jean, de continuer à écrire et à filmer… »Finalement, la revue québécoise Contamination (hélas elle aussi disparue) devait contenir une autre entrevue, prévue pour un numéro qui ne parut jamais. Ces entretiens inédits seront sans doute publiés un jour, préservant la mémoire et la voix de Jean. Nous pourrons alors converser avec lui une dernière fois, au cours d’une promenade onirique que nous ferons en compagnie d’étranges femmes-vampires, de petites ogresses, de forains intemporels et de tous ceux qui jamais ne refuseront d’apercevoir, même en plein jour, les ailes de l’Ange du Bizarre jeter leur grande ombre sur les certitudes que l’on croyait immuables.
***

Bonne année à tous. Qu'elle soit riche en bonnes surprises et remplie de créativité...

02 octobre 2010

Richard Blade porte fièrement l'étendard des mauvais genres

Non, ce n'est pas le nom d'un groupe yé-yé des années 60, mais bel et bien une série de romans publiés sous la bannière "Gérard de Villiers présente", et qui compte à son actif pas moins de... 194 titres !Comme souvent, quand vient le moment d'aborder un sujet torrentiel, il est difficile de structurer et de canaliser ses idées, surtout dans le cadre d'une modeste entrée de blogue, qui se veut conviviale et à la bonne franquette, loin d'une étude universitaire du sujet.

Au fil des années, j'ai souvent eu l'occasion de voir la bannière "Gérard de Villiers présente" sur différents livres de littérature résolument populaire, que ce soit par l'entremise de la série d'espionnage SAS (que je n'ai d'ailleurs jamais lue, n'étant guère friand du genre) ou dans le cadre d'autres projets éditoriaux, entre autres une curieuse "Intégrale" des oeuvres du romancier français Serge Brussolo qui s'est arrêtée à une vingtaine de titres (alors que son oeuvre en compte environ cent-cinquante...).

Plus récemment, dans le cadre de mon billet consacré aux littératures "post-apocalyptiques", je vous entretenais de deux séries placées sous l'égide de GdV, soit Le Survivant et Jag. Lors de visites en librairie, j'ai maintes fois vu les romans de la série Blade, bradés à des prix plus ou moins dérisoires. Qu'est-ce que c'était ? Je ne m'étais jamais réellement posé la question jusqu'à plus récemment, lorsque la longévité de cette série m'a intrigué. Quelques recherches sur le web n'ont, en plus, guère révélé d'informations, à part des critiques disparates et un survol de la série par Thomas Bauduret. On y apprend qu'au départ, la collection était signée par différents auteurs anglophones (sous le pseudo collectif de "Jeffrey Lord"), puis qu'après une quarantaine de titres, des inédits de langue française ont permis à la série de se poursuivre, parfois sous des plumes surprenantes, comme celle, acérée, de la corrosive Nadine Monfils.Les titres de ces romans me faisaient souvent sourire par leur outrance à refuser la "respectabilité littéraire". On retrouve entre autres ces noms baroques et rébarbatifs typiques du genre "fantasy". Des exemples :

- L'EAU DORMEUSE DE DRAAD
- LES CINQ ROYAUMES DE SARAM
- LES DRAGONS D'ANGLOR
- LA TRIBU ROUGE DES KARGOIS
- LES ANDROÏDES DE MAK LOH


On est loin de Marguerite Duras... Je dois dire que le caractère "sériel" de ces titres m'amusait, mais était insuffisant à m'intriguer. Par contre, d'autres titres annonçaient un baroquisme plus séduisant :

- L'échiquier vivant du Hongshu
- La forêt carnivore de Jaghd

- Les Sept duchés du fleuve cramoisi

- L'empire des écailles
- Le soleil sous la terre

- Le cimetière des hommes-machines

- Les convulsions du temps

- L'agonie de la planète sans ciel

- Le collège des invisibles

- Planète carnage


À dose plus ou moins à intense, ces titres promettent tous quelque chose de curieux... Et puis, quelle série peut vraiment compter 194 titres sans se renouveler ?Pour me faire une idée, j'ai lu le premier volume, La Hache de bronze. On y fait la connaissance de Richard Blade, agent secret qui a toutes les qualités. La première page du livre profite de cette mise en situation pour nous présenter des pronostics sur le futur : Dans le London Times, "Blade lut qu'en l'an 2000, des animaux intelligents seraient sans doute utilisés pour certains travaux pénibles [...]. Un gorille contremaître dirigeant des équipes de chiens, de mulets et de chevaux ? Avec un chimpanzé à la comptabilité ?" Le supérieur hiérarchique de notre héros l'envoie visiter un scientifique bossu ("le plus grand savant de Grande-Bretagne") dans un labo souterrain (!) presque entièrement occupé par un ordinateur géant (le livre fut écrit en 1969). Pour la gloire de l'Angleterre, Blade accepte de se livrer à une expérience scientifique : on le branche littéralement à un ordinateur qui l'envoie dans un monde inconnu, qui existe autour de nous sans qu'on puisse le voir ("L'ordinateur a brouillé ses cellules cervicales de manière à lui permettre de voir, et d'exister, dans une dimension que nous ne pouvons ni voir ni comprendre, alors qu'elle est peut-être même autour de nous en ce moment même. Nous la traversons peut-être, en ignorant son existence. Pour parler plus simplement, ce n'est rien de plus que ce sifflet à chiens, que le chien entend mais que vous n'entendez pas. Le son est pourtant là !"). Et voilà, le tour est joué !Chaque aventure de Blade l'enverra dans une dimension différente, ce qui lui permettra d'évoluer dans des univers plus traditionnels ou plus éclatés. Bien sûr, ce premier tome de la série ne permet guère de juger de l'ensemble (forcément, les débuts sont toujours plus sages), mais déjà, la lecture ne manquait pas d'un certain piquant, rehaussé par un humour involontaire et par un aspect anarchique appréciable. Propulsé dans une dimension typiquement "fantasy", Blade rencontre un geôlier laid ("Un gaillard impudent aux cheveux clairsemés qui louchait atrocement et qu'un bec-de-lièvre défigurait") qui deviendra son allié, aux côtés d'une princesse revêche ("Elle planta ses poings sur ses hanches et le considéra d'un air exaspéré") et d'un homme d'armée homosexuel (qui passe son temps à dire à Blade : "J'ai de l'amitié pour toi") ! Ce quatuor "de choc" connaîtra des aventures plus ou moins débridées, au cours desquelles notre Blade titulaire devra entre autres combattre plusieurs ours dans une arène, faire connaître le plaisir à une reine vieillissante affublée d'une perruque qui ne tient pas en place (au terme de leur étreinte, Blade la laisse endormie, alors que "la perruque était tombée par terre et [qu']à la lumière vacillante de la chandelle, elle n'était plus qu'une vieillarde chauve à la figure peinte"), affronter un géant dans un cercle de flammes, sous les insultes d'une populace déchaînée, se libérer de l'emprise d'une sorcière qui tente de l'hypnotiser, etc. Un sacré programme, loin, très loin de l'autofiction... Au terme de ma lecture, une question troublante subsiste. Selon l'adage, "dis-moi ce que tu lis, et je te dirai qui tu es". Que dois-je comprendre ?Par ailleurs, en terminant, si vous voulez lire un texte assez amusant d'un collègue blogueur, allez visiter cette page du blogue du Docteur Pascal, où il nous confie pourquoi il ne sort plus guère au cinéma ces jours-ci. Difficile de lui donner tort, tant l'expérience qu'il décrit s'apparente hélas à un rituel obligé !

01 septembre 2010

Lectures post-apocalyptiques

Chaque année, la rentrée des classes au Cégep (elle a eu lieu la semaine dernière) marque pour moi la fin l'été. L'été fut cependant bien rempli, entre l'écriture, un voyage sur la côte Nord avec Ariane, le festival Fantasia, les rencontres d'amis, les lectures, le cinéma et bien d'autres choses encore.

Une partie de mes lectures estivales fut consacrée au genre "post-apocalyptique", que j'avais curieusement envie d'explorer. Les auteurs qui s'y adonnent décrivent souvent la vie mouvementée de personnages qui, après un conflit mondial, se retrouvent dans un monde futuriste et dévasté. Retourné à un état plus ou moins sauvage, cet univers se caractérise par ses multiples dangers : groupes armés, zones radioactives, formes de vie dangereuses, etc. Ce sous-genre appartenant à la grande famille de la science-fiction connut un certain succès cinématographique au début des années 1980. Le représentant le plus célèbre fut probablement la trilogie Mad Max... D'autres films avaient toutefois abordé le thème auparavant, entre autres A Boy and His Dog. Puisqu'il n'existe sans doute pas de genre ni de sous-genre mineur (en termes qualitatifs), le "post-nuke", comme on l'appelle également, a donné lieu à des oeuvres réussies ou moins acoomplies, selon l'inspiration, le travail et le talent de chacun. Les titres ne manquent parfois pas d'un panache amusant : Les Exterminateurs de l'an 3000, par exemple. Lorsqu'on se trouve dans un état d'esprit réceptif, ce sous-genre peut donner lieu à des lectures ou à des visionnements plutôt agréables. Cet été, j'ai ainsi découvert L'autoroute sauvage, de Julia Verlanger, réédité récemment par Bragelonne (qui publiera l'oeuvre intégrale de cette intéressante romancière). Servi par une écriture autodiégétique (1e personne du singulier) nerveuse, ce récit raconte l'errance, puis la mission d'un survivant solitaire qui doit se rendre dans un Paris futuriste afin d'en ramener une formule précieuse. Entre fanatiques religieux, formes de vie mutantes et péripéties diverses, les événements se succèdent sans temps morts et sont mis en valeur par un humour bien placé et d'intéressantes nuances. On peut lire ce livre au premier degré comme un roman d'aventures dans un monde pittoresque ou en faire une lecture plus approfondie qui permettra de déceler certains sous-textes, qui s'intéressent notamment à l'organisation sociale, à ses contradictions et à ses stratégies pour maintenir l'ordre établi.Plus ludique, mais plus délirante, aussi, la série Jag de Zeb Chillicothe (en fait : Christian Mantey) fut co-écrite, au fil des numéros, entre autres par Joël Houssin ou Serge Brussolo. L'épisode que j'ai lu, Les hommes-tritons, raconte une hallucinante histoire. Notre héros, Jag, être fruste, homme d'action avant tout, devient esclave dans une mine, qui est en fait une météorite géante enfouie dans les sables du désert...! Jag et son ami Cavendish doivent plonger dans un lac souterrain pour en ramener des perles, non sans croiser des poissons explosifs. Afin de résister aux eaux toxiques de cet étrange lac, les deux hommes, à l'instar de leurs collègues, se font greffer de singuliers poissons-parasites qui font office de filtres... Peu à peu, ces parasites protecteurs provoquent chez eux une torpeur dont il devient de plus en plus difficile de se libérer. Si le web contient plusieurs critiques négatives de ce roman, il m'a plu par son climat très curieux et par son écriture baroque, fusion de Brussolo et de Mantey, qui privilégie un style un peu désuet, mais parfois très cru. Il faut prendre cet épisode de la série des Jag pour ce qu'il est : un pulp délirant où se succèdent les tableaux bizarres et oniriques. Mantey avait auparavant tenté une série du style, au Fleuve Noir, sous l'intitulé Chroniques du retour sauvage. Attention, page couverture toxique :Enfin, j'ai lu le premier roman de la série Le Survivant. Particularité : la majeure partie du livre est en fait un récit pré-apocalyptique, visant à établir dans quelles circonstances le conflit nucléaire a eu lieu. On est ici dans le pur "produit" années 80 (la guerre nucléaire est provoquée par un conflit URSS/États-Unis), qui décrit des scènes d'action qu'on visualise presque à la façon d'une série B d'époque. Le héros, Rourke, est un spécialiste de la survie en conditions extrêmes... Le roman est bâti d'une manière assez complexe (compte tenu de son statut de pulp), alternant une multitude de points de vue, dont certains sont ceux de personnages qui ne font qu'une brève apparition. L'écriture se veut ici essentiellement dépouillée, sans fioritures. Bien entendu, l'apocalypse annoncée se produit finalement, et les derniers chapitres de l'ouvrage voient Rourke combattre diverses menaces classiques : motards dangereux (les Hell's Riders), chiens sauvages, lieux radioactifs... Les épisodes subséquents développeront plus à fond ces péripéties, sans doute.Cela m'a donné envie de revoir quelques films du genre, ce qui a déjà commencé avec l'inénarrable Les Guerriers du Bronx, film italien d'un grand pittoresque. Avec son climat de chaleur étouffante et son plaisir de la narration pure, le post-nuke est, en tout cas, très approprié pour les lectures estivales.

Enfin, lors de mon voyage sur la Côte Nord, pendant qu'Ariane lisait La Route de Cormac Mc Carthy (autre roman post-apocalyptique), je parcourais en esprit un autre chemin, celui de L'Autoroute du massacre (rien de moins !) de Joël Houssin, deuxième roman paru dans la collection Gore du Fleuve Noir, dont j'ai déjà parlé ici. Il ne s'agit cette fois pas d'un post-nuke, car il faut quand même varier les plaisirs. Très propice à une lecture de vacances en raison de son décor, ce roman raconte comment un embouteillage monstre (pendant les vacances d'été) force un couple et de jeunes voyageurs à s'arrêter pour la nuit en bordure de l'autoroute. Dans la forêt environnante, deux personnages bizarres, l'Aîné et le Cadet (plus ou moins monstres !), sont en chasse, aiguillonnés par une faim dévorante ! De voir toutes ces proies humaines les affole. Quel repas en perspective... ! Non sans humour, et avec un sens certain de la phrase incisive, Houssin parvient à présenter bon nombre de personnages et de points de vue narratifs. Il devient impossible de s'arracher à cette lecture...

Une amusante réflexion de l'un des "monstres" de service :

La bêtise des choses vivantes ne gâtait cependant pas la saveur de leur viande.

Au début du roman, le Cadet, prédateur naïf, se cache dans un pin pour observer ses victimes potentielles. Le pauvre monstre a si faim qu'il "se [met] à trembler, faisant choir une bruine d'épines. Ce n'était pas la peur qui le faisait frémir [...]. Il priait pour que son frère lui en laisse un peu. Juste un petit peu..."

N'ayant jamais lu de Houssin, j'ai découvert un auteur en pleine possession de ses moyens. Après l'avoir lu, elle aussi, Ariane me confiait qu'elle trouvait le titre (et le paratexte) réducteur, compte tenu des qualités du roman. Coincé dans son format de 155 pages et obligé de respecter le cahier des charges, Houssin se montre beaucoup plus généreux qu'on pourrait le croire en jugeant le livre par son illustration de couverture ou son quatrième... Il semble que le pinacle de la collection, l'ouvrage le plus dérangeant qui y parut, soit le second et dernier "Houssin" qui y fut publié, L'Écho des suppliciés, dont je redoute presque la lecture tant on dit que l'ouvrage est horrifiant ! Attention, illustration toxique (bis) :
Bonne rentrée à tous !

30 mai 2010

La Maison au fond de l'impasse à paraître chez Vents d'Ouest

Pour amorcer l'été, je vous annonce une bonne nouvelle : la parution chez Vents d'Ouest, à l'hiver 2011, de mon prochain roman : La Maison au fond de l'impasse. Ce roman "transgénérique" se situe aux frontières du thriller psychologique et du roman fantastique.

Le sujet : après avoir perdu son emploi et sa compagne, un ex-journaliste se retrouve isolé dans sa maison glaciale, en proie à un délire mystique qui prend de plus en plus de force au fil des jours. Il en vient progressivement à se persuader que la seule façon de se sortir de son cauchemar éveillé consiste à mettre en oeuvre les volontés du diable... ou ce qu'il croit être tel!

Comme toujours, la collaboration avec l'équipe de Vents d'Ouest est très stimulante. Vents d'Ouest fera d'ailleurs paraître deux ouvrages notables cet automne, soit :

La Société des pères meurtriers, de mon ami Michel Châteauneuf.
Entre les bras des amants réunis, du sympathique Claude Bolduc.

Le premier des deux est un polar noir dont j'ai pu lire le manuscrit. C'est un livre caustique et très efficace. Il s'agit de mon préféré de Châteauneuf qui fait preuve, ici, d'une inventivité remarquable, d'un grand sens de la concision, le tout au service d'une intrigue à la fois dense et sans temps morts. Il y a quelque chose de zolien dans ce roman que les fans de polar noir devraient aimer, et avec raison : j'ai constaté tout le soin qu'a mis Michel a rédiger ce livre qui lui a demandé plusieurs années de travail et de réflexion.
Le second titre prévu chez Vents d'Ouest contiendra l'un des meilleurs textes de Claude Bolduc, la novella Entre les bras des amants réunis, parue initialement dans L'Année de la science-fiction et du fantastique québécois 2000, en 2005. Cette publication, accompagnée d'autres nouvelles fantastiques, devrait permettre à ce texte de rejoindre un public plus vaste, ce qui est tout à fait mérité.Quelques mots, enfin, pour remercier ma compagne Ariane de l'un de ses cadeaux d'anniversaire tous plus judicieusement choisis les uns que les autres. Ariane m'a entre autres offert un roman de l'énigmatique Maïk Vegor, alias Jacques (Jack) Coutela, occultiste français et représentant de la Wicca International Witchcraft en France, décédé en 1995. On découvre ici le récit (incroyable!) de son existence romanesque. Coutela a publié un grand nombre de romans, il semble très complexe de reconstituer sa bibliographie dont même la Bibliothèque Nationale de France n'a pu mettre les pièces du puzzle en place. On sait, en tout cas, que Coutela publia aussi sous l'identité de Marilyn Valojie et qu'il écrivit une BD pour adultes, Marie la sorcière, sous le nom de Marco.

De passage à Québec lors du dernier Congrès Boréal, j'ai justement trouvé, chez un bouquiniste, un exemplaire de l'un des livres signés Valojie : Mary Gold initiée à la magie, un roman "occulte" publié par l'éditeur Odepi, qui, lui aussi, dégageait une odeur de soufre. L'une des quatre collections d'Odepi s'intitulait "Magie/Sorcellerie" et compta deux romans seulement, le second étant Le Cercle du diable, de Michel Breuzard. Pour la petite histoire, les autres collections d'Odepi s'intitulaient "Eros", "Espions" et "SS Guerre" ! L'éditeur semble avoir publié une dizaine de livres avant de déposer son bilan... Pour brouiller les cartes, Mary Gold... est le second tome d'une série dont le premier n'existe pas !
Revenons-en au sujet qui nous préoccupe, de peur de nous perdre encore plus loin dans les méandres de ce labyrinthe ésotérique : Ariane m'a offert les deux premiers romans d'une série consacrée au personnage de Maïk : Maïk et le château sanglant et Maïk et le rajah pourpre. J'ai parlé brièvement, dans mon dernier billet, de la collection "Terrific" de l'éditeur Monnet, autre initiative qui ne dura que brièvement (8 romans parus).

Quand on parcourt les quelques forums et sites web qui commentent les parutions de "Terrific", on est loin de découvrir des dithyrambes. Au contraire, ces romans se font sévèrement critiquer. Il est difficile pour moi de donner mon avis à ce sujet, n'ayant lu que le premier volume de "Terrific". Cependant, je dois dire que j'ai beaucoup aimé ce livre étrange, très loin du politiquement correct. Mes affections surréalistes ont été comblées, et j'arrivais difficilement à m'arracher à la lecture de ce roman insolite.

Le lecteur y découvre Maïk Campbell O' Connor, jeune veuve qui habite dans un château perdu dans la lande écossaise et hanté par le fantôme d'Edouard II. Nerveuse et excentrique, Maïk ne s'encombre pas de scrupules : tout est bon pour parvenir à ses fins. Passionnée par les sciences et obsédée par la vie après la mort, Maïk cherche à ressusciter son mari, Walter, qui vient de mourir alors que le roman débute. Elle parvient à récupérer son cadavre et le dissimule dans une salle souterraine, dans laquelle elle se livre à ses tentatives pour le ramener à la vie. Le tout est expliqué à l'aide de termes scientifiques dont je ne peux évaluer la crédibilité, mais qui ajoutent une touche de bizarrerie au roman. Il serait dommage de trop en dire, sinon que le roman dévoile sa trame sadienne et parfois cauchemardesque sans oublier de recourir à un humour noir qui ne manque pas de piquant. On peut, ici, véritablement parler d'horreur gothique, et il faut saluer la créativité de l'auteur qui parvient à imaginer les développements les plus retors à partir d'une situation classique. Le livre contient plusieurs morceaux d'anthologie. Une réédition serait souhaitable, mais, bien sûr, dans la situation actuelle, ce serait très surprenant...

La collection "Terrific" s'interrompit après la publication de Maïk et les SS, malgré quatre titres annoncés mais jamais parus, dont le très beau La sorcière aux yeux d'automne et Maïk et le docteur End. Il est permis de le regretter...
Dialogue entre Maïk et un homme de main :

- Vous êtes une vipère, madame !
- Non, un scorpion. C'est tout aussi venimeux, et ce petit arachnide correspond à mon signe zodiacal. Au fait, quel mois es-tu né ?
- En juillet, sous le cancer...
- Vois-tu ? Nous sommes faits pour nous entendre. Tu es un adorable crustacé aimant la vie publique. Un jour prochain, si tu es bien sage, tout le monde te contemplera. Tu auras une vie publique agréable, je peux te l'assurer.

01 mai 2010

Collections fantastiques inusitées

Ce mois-ci, je vous présente quelques collections de littérature fantastique insolites et peu connues. En effet, au-delà des classiques du genre, des collections célèbres ou établies, d'autres tentatives ont vu le jour décennies après décennies. Il serait téméraire de vouloir en faire la recension complète dans le cadre forcément limité de ce blogue, mais l'idée de présenter un échantillon représentatif m'est venue.

Je me suis concentré surtout sur les projets éditoriaux bizarres et hors du commun, à commencer par la série

LES AVENTURES DE DRACULA, publiée aux éditions Bel Air durant les années 1960.Quelques recherches du côté du sympathique Forum BDFI m'ont permis d'en savoir plus quant à ce fort curieux projet éditorial. L'une des particularités de cette série traduite de l'italien était la manie (du traducteur ? de l'auteur ?) de mentionner sans arrêt et en lettres majuscules, comme si l'auteur hurlait leur nom, différentes marques d'alcool, qui sponsorisaient probablement l'entreprise. Le résultat de ce "placement de produit" peu subtil est, bien sûr, à la limite de l'absurde. Dans l'ouvrage Le Chat noir, on trouve entre autres ce type de phrases:

"Le juge Harrison se leva en repoussant le verre de OLD CROW BOURBON vers le lampadaire du dix-huitième siècle" (p. 69).

"Humphrey se fit indiquer la cave à liqueurs et versa du BOURBON OLD CROW pour tous" (p. 99).

"Sans doute avertie par le mari, elle avait caché la bouteille de OLD CROW BOURBON" (p. 142).

Et ainsi de suite ! Les titres des douze épisodes de la collection - et les pages couvertures - ne manquaient pas de charme délirant eux aussi :Une décennie plus tôt, "La loupe épouvante" publia quatre romans avant de s'interrompre. Trois d'entre eux, signés Frédéric Charles, alias Frédéric Dard (San-Antonio) furent réédités dans les années 1990 par le Fleuve Noir. Le dernier est sans doute celui qui se démarque le plus du lot, avec son titre impensable et sa page couverture des plus... étonnantes :Autre collection - qui n'a rien à voir avec celle, homonyme et éphémère, qui parut au Fleuve Noir au courant des années 1990 -, "Frayeurs" ne connut que 5 titres dont voici mes favoris (Le titre du premier laisse rêveur... Qu'est-ce que ce livre peut bien raconter ?) :Au cours de cette décennie des années 50 qui vit aussi paraître les premiers "Angoisse", la collection "Épouvante" déployait ses fantasmagories bariolées. Attention aux "titres qui tuent" et aux pages couvertures rigolotes :Celui-ci mérite le prix du meilleur titre :Toujours selon l'un des usagers de BDFI, le roman La mort aux vifs, paru dans cette collection, était l'un des romans d'épouvante les plus gore publiés à cette date... Affirmation plus ou moins contredite par un autre usager, selon qui l'un des titres les plus délirants de l'époque serait celui-ci, que même Lucio Fulci n'aurait pas renié :Après les années 50 et 60, abordons les années 70 : avec son esthétique typiquement seventies, la "Bibliothèque de l'étrange" proposa également quelques jolies découvertes :Maurice Périsset fut entre autres publié au Fleuve Noir où, dans la collection Anticipation, on put lire la réédition de son sympathique roman d'épouvante atmosphérique Le visage derrière la nuit (beau titre).Patrice Rhomm, scénariste et cinéaste, s'est spécialisé dans le mariage entre érotisme et épouvante, réalisant notamment l'extravagant Le Manoir de Draguse au courant de cette même décennie 1970.

Toujours dans les années 1970, l'éditeur Monnet publia la collection "Terrific" (rien de moins), dans laquelle on pouvait lire les exploits d'une héroïne récurrente, Maïk, dans des situations qui, semble-t-il, n'avaient rien de politiquement correct. Et un dernier titre de Périsset pour la route : Enfin, pour terminer ce trop court voyage, j'attire votre attention sur un livre récent, cette fois, paru l'an dernier aux Éditions de l'Antre. On retrouve dans cet ouvrage très intéressant des titres devenus introuvables de Marc Agapit, Claude Seignolle, Gustave Lerouge et un entretien avec Francis Lacassin, qui fut, de son vivant, un personnage essentiel dans le domaine des littératures dites "populaires".Au plaisir, peut-être, de vous voir au Congrès Boréal, auquel j'assisterai avec la flamboyante Ariane !