Ce blogue le prouve sans doute, en plus des films, livres et musiques insolites, j'aime les personnages pittoresques et surprenants, qui "sortent de l'ordinaire en claquant la porte" et qui ajoutent au monde une dose d'imprévu par la simple grâce de leur existence.
Dans un numéro récent de Jobboom, on trouve cette curieuse description de l'aubergiste montréalais Joe Beef, personnage ayant réellement existé et qui mériterait qu'on lui consacre un roman : "Franchir la porte de l'auberge "Joe Beef" dans les années 1870, c'était se frotter à une faune bigarrée. Parmi les habitués, on comptait en effet des singes, des perroquets, un ours buveur de bière ainsi que des travailleurs saisonniers et des bandits. Sans oublier le propriétaire, Charles McKiernan (surnommé Joe Beef, tout comme son établissement), un personnage haut en couleur qui récitait des poèmes contestataires debout sur le bar, un squelette dans les mains".Extraordinaire ! On aurait envie d'y être pour offrir un verre à l'ours ! Ou d'arriver dans une lecture de poésie avec un squelette sur les épaules. Cela n'est pas sans me rappeler le chanteur américain Screamin' Jay Hawkins, auteur de la célèbre chanson I Put a Spell on You, grand ancêtre des musiciens de Shock Rock qui prirent son relais par la suite (le peu subtil Screamin' Lord Such, mais aussi Alice Cooper ou même Marilyn Manson). Dans le Dictionnaire du rock dirigé par Michka Assayas, on peut lire au sujet de Hawkins : "Il est élevé par [...] des Indiens algonquins de la tribu Blackfoot [...] chez qui les rites magiques sont quotidiens [...]. Deux fois par an à partir de la puberté, il subit le rituel du guerrier qui marque le passage à l'âge adulte. Il rapporte qu'il a dû chaque fois survivre un mois entier seul et, de surcroît, absolument nu dans la forêt hostile, mangeant des racines, des herbes, de l'écorce, des crabes, des serpents, et il prétend avoir "même avalé des scorpions" ! [Au cours des années 50], Hawkins présente un spectacle où, petit à petit, la mise en scène prend une grande importance : costumes, colliers, faux serpents et araignées, références macabres, postiches, accessoires, trucs de prestidigitateur sorcellerie de bazar et hurlements de terreur dans le ton des films d'horreur les plus outranciers de l'époque [...]. Collier de barbe, coupe "pompadour" crépue, yeux ronds expressifs et sourire de maniaque sont souvent agrémentés de dents de vampire en plastique. Il porte toujours avec élégance ses costumes de satin, sa cape de Bela Lugosi ou, alternativement, son costume en imitation panthère pour figurant de Tarzan des années 30. "Henry", le nom du crâne fiché sur une canne, est son compagnon de scène depuis des décennies. Sans oublier le cercueil d'où il fait son entrée sur scène et dans lequel, dit la légende, l'un des Drifters le cloua avant un concert".Tout, sauf l'ennui ! Un grand musée baroque qui aurait comblé des Esseintes, le héros du roman de Huysmans À rebours, qui cultive l'excentricité pour mieux s'arracher à un monde qui l'exaspère...
Je termine en signalant le site des éditions Rivière Blanche aux amateurs de littérature fantastique en marge de la production mainstream. Fondée en 2004, cette maison d'éditions est une entreprise à nulle autre pareille au sein du paysage littéraire de 2009. Cet éditeur fait revivre le style et l'esthétique du Fleuve Noir dans sa période "classique" (années 50 et 60), par le biais de deux collections de SF ("Blanche" et "Bleue") qui reprennent la maquette de la célèbre et défunte collection "Anticipation" des éditions Fleuve Noir, mais surtout - ô miracle - grâce à la collection "Noire" qui ressuscite "Angoisse". Les lecteurs de ce blogue savent la portée symbolique et existentielle que revêt pour moi cette collection. La voir ressusciter sous une nouvelle bannière respectueuse de la tradition a quelque chose de très émouvant. Les livres de Rivière Blanche ne sont pas disponibles en librairie au Québec, ils le sont en Europe seulement chez quelques libraires (voir leur site pour des détails sur ce choix éditorial original, qui assure aux auteurs une rétribution "alternative" intéressante). On peut les commander sur le site web de Rivière blanche, et il n'y a pas de frais de port additionnels pour le Québec.On retrouve dans la collection "Noire" l'intégrale de la saga de Madame Atomos d'André Caroff, personnage maléfique dont Caroff avait raconté les exploits dans une série de romans devenus difficilement trouvables. Et que dire du roman intitulé L'Effroyable vengeance de Panthera et signé... Pierre-Alexis Orloff ? De vieux auteurs du Fleuve Noir y ressuscitent avec des inédits, telle Dominique Rocher avec un livre au titre fort beau, Les Terrasses de la nuit.Jubilation : on nous promet pour très prochainement des rééditions des premiers romans d'André Ruellan (alias Kurt Steiner). Ruellan avait imprégné ses romans d'angoisse d'une atmosphère indéfinissable et très onirique, donnant lieu à de véritables petits chefs-d'oeuvre."En se sondant bien, néanmoins, il comprenait d'abord que, pour l'attirer, une oeuvre devait revêtir ce caractère d'étrangeté que réclamait Edgar Poe, mais il s'aventurait volontiers plus loin sur cette route et appelait des flores byzantines de cervelles et des déliquescences compliquées de langue ; il souhaitait une indécision troublante sur laquelle il pût rêver jusqu'à ce qu'il la fît, à sa volonté, plus vague ou plus ferme selon l'état momentané de son âme." (Huysmans, À rebours)
01 août 2009
S'abonner à :
Messages (Atom)