31 mai 2008

Mes ombres

(Une toile de Mario Mercier, cinéaste-écrivain-peintre).

Dans l'édition du Devoir de ce week-end, on trouve une critique de mon recueil À l'intention des ombres, critique qui va comme suit :

" Qui vivrait dans un «immeuble génétique» composé de chair et de muscles? Surtout si l'édifice ne possède pas de système d'hygiène et que les locataires doivent quotidiennement raser leurs appartements. Ou bien, accepteriez-vous de glisser la main dans votre garde-robe à minuit, après avoir proféré sept jours de suite la formule suivante: «Viens croquer mon âme, esprit du mal»? Un homme en complet noir vous offre 5000 $ en échange de ce petit défi.

Frédérick Durand, l'auteur de ces deux histoires étranges, et de bien d'autres encore réunies dans le recueil À l'intention des ombres, possède toute l'imagination nécessaire pour précipiter le lecteur dans des univers surprenants. Ce n'est pas un hasard si quelques-unes de ces nouvelles ont déjà paru dans la revue Solaris, qui se consacre avec dévouement aux littératures de l'imaginaire. Frédérick Durand, en plus d'avoir du métier (il compte dix livres à son actif), a des lettres. Il possède un doctorat en littérature, et ses nouvelles font leur miel de nombreux auteurs. Certains titres peuvent rappeler le surréalisme, comme L'Enrôlement obligatoire du squelette amical, un «cadavre exquis» au sens propre. Une certaine histoire, dans laquelle un homme doit chaque matin descendre de son phare et piquer la mer gélifiée pendant la nuit, pour permettre aux Noyés-Nageurs de survivre (Pique-la-mer), rappelle l'univers poétiquement marin de Jules Supervielle. Surtout, les quelques histoires mettant en scène des personnages raffinés et pervers évoluant dans des tableaux décadents où règnent la cruauté, la torture et le meurtre font penser, par leur côté onirique et macabre, au théâtre du Grand-Guignol, à André Pieyre de Mandiargues, voire à Sade. Cette variété d'influences assure à l'ensemble du volume une stimulante diversité. Le livre trouve néanmoins dans le thème de la possession, de la perte de liberté (à cause d'un article de journal postdaté qui annonce notre propre mort, par exemple), un point central auquel chaque nouvelle vient se rattacher."

Source : http://www.ledevoir.com/2008/05/31/192057.html, auteur : David Dorais.

J'ai été assez ému par ce texte, où, pour l'une des premières fois, on reconnaît plusieurs de mes influences littéraires. Mandiargues, bien sûr, ce modèle d'écriture, cet auteur de joyaux noirs enchassés dans des écrins précieux. Sade, évidemment, dont j'ai lu l'oeuvre entière (y compris des romans que personne ne lit jamais ou à peu près, comme Isabelle de Bavière), parfois avec une horreur sans nom... Le théâtre du Grand-Guignol, cet ancêtre que Breton évoquait dans Nadja... Et j'ai aussi lu Supervielle...

En mars 2008, le journaliste Pierre-Luc Lafrance avait été le premier à commenter le livre dans un quotidien beauceron. Il y disait de si belles choses que je n'ose pas le citer...

Il m'arrive de me décourager et de me demander "à quoi bon"... C'est très difficile de poursuivre, parfois. Vraiment. Alors, des articles comme ceux-ci arrivent à point nommé pour me faire prendre conscience que, peut-être, j'ai raison de continuer...

23 mai 2008

Ferme ta gueule !

Ça y est, je l'ai commencé, ce deuxième livre écrit pour Coups de tête. Le titre : Ferme ta gueule ! En rupture totale avec la plupart de mes titres précédents. Un autre roman-cri, à la façon de Je hurle à la lune comme un chien sauvage, avec une narration rageuse et carrée... Un autre livre nocturne arrosé de pluie, façon hommage au roman noir des années 50, mais mis à jour, en adéquation avec notre époque, comme l'était Je hurle...L'été s'annonce. Après avoir terminé mes corrections du Cégep, j'ai le temps de lire. Ça arrive peu, pendant la session. Surtout la dernière, où j'ai eu vraiment beaucoup de corrections et de préparations à faire. J'ai donc entamé la lecture de La Main froide de Serge Brussolo. On retrouve la patte typique de l'auteur. On dira ce qu'on voudra pour ou contre Brussolo, c'est vraiment un monde, ce bonhomme. Il a un style reconnaissable entre tous, une ambiance et un univers très particuliers. Même dans ses romans réalistes (comme celui-ci), on a l'impression d'être complètement absorbé dans un univers spécifique, en marge du réel. La force de sa documentation est toujours étonnante, tout est parfaitement intégré et maîtrisé. J'en suis au quart.

Hier, j'ai visionné Malatesta's Carnival of Blood, une série B américaine fort étrange. Je ne peux pas dire que j'ai aimé ça - ça m'ennuyait vraiment, par moments -, mais c'est décidément un film plutôt curieux, un mélange d'avant-garde, de film d'art et d'essai et de série B d'horreur. Après un départ linéaire, ça devient rapidement assez déconstruit et déstructuré. On a droit, en prime, au nain Hervé Villechaize qui déclame des énigmes rimées, le tout avec un accent français à couper au couteau. Bizarre... J'ai eu l'occasion de voir Villechaize dans des contextes assez étonnants par le passé. Je retiens surtout le premier Olivier Stone, Seizure (alias Tango Macabre), tourné au Québec dans un décor très typique, une sorte de thriller onirique dans lequel des vacanciers sont forcés à jouer à des jeux baroques et étranges, aux ordres d'un trio de choc : Mon album du moment : Mosquitos, de Stan Ridgway. Ex-chanteur de Wall of Voodoo. Les chansons sont autant de petites vignettes délicieuses, de véritables nouvelles dotées d'une écriture mordante. On baigne parfois en plein roman noir (Peg & Pete & Me), parfois, c'est plus social... On retrouve aussi quelques chansons sur les exclus du système, tel ce morceau qui conclut l'album, évoquant l'existence quotidienne d'un tenancier de bar qui abreuve d'alcool ce monde assoiffé. La production est très "années 80" (l'album parut en 1989), mais ça ne me dérange pas. Ce sont, je crois, de grandes chansons, et Ridgway demeure une figure-culte fort originale.

À titre d'exemple, l'étonnante Can't Complain :


- How you doin' bert?

-Well, not so good Charlie. My back's gone out and I cut my finger kinda gnarly. The job's the same and so's the boss. He's still a big ass and my wallet got lost. My wife's sick in bed, she says she'll never get well and all these kids today have gone to hell and all that government paperwork caught up with me, had to hire a beancounter for an outrageous fee. And I don't know if the chicken or the egg is to blame, but all things considered, I guess I can't complain..."

-Cheer up, Charlies said, "things could be worse."

-Well, yeah, I know, but did I tell you that my landlord's a cop, my neighbor's insane, but all things considered, I guess I can't compalin...

Out on the water
Where the sailing men all go
The water's high while all the fish swim low[

- You know what Bert, Charlie said, "you got the wrong attitude. Sometimes life's a big game and the paths you can choose. Things may go wrong, but ya gotta stand tall."

- Well I know, Bert said, "but well...that ain't all. My hair's fallingout, the roof leaks when it rains, but all things considered, I guess I can't complain...

- You know what Bert," Charlie said, "you're a real loser, so I'll see younext week if you live 'til then."

And as Bert walked out on the sidewalk, ten floors up, two men lost control of a hoist at just the right time, and a big Steinway grand flattened Bert like a dime. And as a crowd gathered 'round and asked, what was his name? and could it be the chicken or the egg to blame...

Well, the only thing heard was that all things considered, he really couldn't complain. So if you're a loser in life and your gun's out of ammo, just remember this story about Bert and the piano. 'Cause if you can't string the bow and you're clean out of resin, someone may have planned for you a music lesson. So keep your eyes to the sky, it could be a brand name, and remember all things considered, you really can't complain....

19 mai 2008

Trompe-l'oeil et vrac gothique

Je poursuis en ce moment ma lecture du Dictionnaire Gothic [sic] publié chez SCALI sous la direction de Patrick Eudeline.

Passage intéressant : "La culture gothique abhorre le "naturel", autant que le "réalisme" : c'est d'ailleurs en réaction au néoréalisme que le cinéma italien fantastique s'est développé. Le cinéma gothique, d'essence mélancolique, aime nous plonger dans un passé plus ou moins lointain, incertain. Il succède aux histoires qui se racontent au coin de l'âtre, dans la pénombre, que seules les projections de flammes viennent contraster".Cette mélancolie est très présente dans le dernier film de Jean Rollin, La Nuit des horloges. Le cinéaste y invente "l'autofiction post-mortem et in absentia" - le terme est de moi et non de Rollin. Il imagine comment ses proches réagiront après sa mort. Puisque Rollin est en mauvaise santé ces temps-ci, on comprendra que la réflexion n'a rien de léger...

12 mai 2008

Comme un goût d'aurore sur une idée fixe

C'est décidé : le titre de mon prochain roman (à paraître cet automne) sera Comme un goût d'aurore sur une idée fixe. À suivre, donc...

Hormis cela, je souhaite écrire prochainement un petit quelque chose sur ce blogue à propos du Dictionnaire Gothic édité par Scali (superbe éditeur contre-culturel, j'aime !) et au sujet de la série de vingt CD (rien de moins) consacrée aux Introuvables du rock québécois des années 60, conçue par la maison de disques québécoise MÉRITE.
Remarque cinéphilique, pour conclure ce message : décidément, les étés cinématographiques mainstream sont d'un ennui affligeant. Constatation (re)faite (année après année) en lisant un article consacré aux sorties de l'été, en salles : toujours un ou deux films de super-héros insipide, deux ou trois comédies romantiques, un machin de pseudo-action qui tourne autour de deux flics qui veulent démanteler un réseau de dealers... Cinéma-junk. Intrigues interchangeables, réchauffées et prévisibles, pas de vision d'auteur, pas d'esthétique, rien. Comme disait Godard : "Il y a les films, et il y a le cinéma". Il reste des images. Pour ceux qui aiment feuilleter des magazines de mode...

Heureusement que Fant-Asia et quelques autres occasions du genre permettent de découvrir des oeuvres avec une réelle force de frappe. Sinon, il y a quand même les DVD, dieu merci...
("Takouba", une toile de Clovis Trouille)

03 mai 2008

La marée submerge tout

Peut-on voir nos idoles devenir séniles ? Grande question... ou petite, c'est selon. N'empêche... Les lecteurs de ce blogue savent (peut-être / sans doute / ou non) que l'un de mes cinéastes-culte est l'Espagnol Jesus Franco Manera, alias Jess Franco. Comme Ken Russell (mais à échelle réduite...), jadis grand réalisateur anglais, devenu mythomane reclus qui tourne des films incompréhensibles en vidéo dans sa cour, comme le libertaire Jose Benazeraf (que célébrèrent Les Cahiers du cinéma et les cinéastes de la nouvelle vague au courant des années 60 - on le voit dans À bout de souffle de J.-L. Godard, d'ailleurs), la carrière de Franco ne s'est pas terminée par une apogée spectaculaire. Au contraire, le réalisateur, selon toute vraisemblance, va finir son parcours par des productions miteuses tournées en vidéo, sortes de "films de famille" plus ou moins lamentables. Oui, j'aime les petits canards boîteux, mais quand ils ne boîtent même plus, qu'est-ce qu'on fait ? On les regarde ramper. Ça demeure quand même fascinant, une chute. J'aime les has-been, ceux qui passent à côté, qui ratent tout, qui veulent dire des choses, mais maladroitement.Jess Franco, selon J.-M. Sabatier, que je cite de mémoire : "Un dilettante de génie qui dilapide des dons évidents". Crucifié par la critique depuis ses débuts. I guess I just wasn't made for these times, en vérité. Comme d'autres - tiens : Sky Saxon, le chanteur des Seeds, un groupe-culte psyché des années 60 dont le dernier CD (paru en 2005) contient un DVD hallucinant : on voit le bonhomme s'imaginer en train de conquérir les ondes radiophoniques avec son dernier album, un truc bancal et bizarre dont j'oublie le titre, mais absolument pas commercial et très, très loin des tendances ! Mais l'autre s'imagine à la veille de reconquérir le monde. Beautiful dreamer, en vérité... Plus dure sera la chute.Jess Franco, donc, jadis assistant d'Orson Welles, promis à une carrière impressionnante. Travaillant avec Jean-Claude Carrière (scénariste pour Bunuel, quand même !) ou avec des acteurs de renom comme Kinski, Christopher Lee, Mercedes Mc Cambridge, Akim Tamiroff, Jack Palance ou Howard Vernon - ce dernier, un autre microcosme du genre ; Howard Vernon, ou comment passer de Melville/Vercors, Woody Allen, Godard et consorts à des séries Z du genre Le Lac des morts-vivants ou La vie amoureuse de l'homme invisible. Oui, il faut croire que j'aime les chutes. André Héléna, jadis poète d'avant-garde, qui finit par brader ses romans noirs, réécrits par des tâcherons qui les vident de leur substance, Jayne Mansfield et sa chute infernale, Lon Chaney jr (en voilà un dont je n'ai pas encore parlé : fils d'un père illustre, ce comédien doué finit, alcoolique total, dans des films de série Z où il titube, complètement saoul, incarnant des rôles grotesques, à la limite - la limite est franchie - de l'embarrassant). Un exemple ? :Ce soir - I Guess I just wasn't made for these times -, visionnement d'un Franco "récent". Où es-tu, Franco, toi qui as marqué mon imaginaire avec des films aussi forts que Venus in Furs, Eugénie, Les cauchemars naissent la nuit, explorations oniriques "à la limite du non-narratif" selon la comédienne et journaliste Monica Swinn... Hum... Le titre du film vu ce soir, à lui seul, était tout un programme : Lust for Frankenstein, un machin tourné en vidéo avec sa compagne (depuis plus de 30 ans... c'est beau) Lina Romay. Un scénario exsangue, quasiment hors du monde, du genre BD Elvifrance, monté en dépit du bon sens, et des moments particulièrement embarrassants, surtout de la part d'un type qui comptait quand même, au moment de la réalisation, plus de 40 ans d'expérience dans le domaine du cinéma... et puis, de temps en temps, un cadrage à couper le souffle, une réplique étonnante, une expression fugace, presque une étreinte... aussitôt invalidée par le plan suivant, approximatif.

Qu'est-ce qui s'est passé ? Qu'est-ce qui s'est désintégré dans le temps acide ? Je l'ignore. Franco est pourtant un type intelligent, non ? Mais, encore une fois, Monica Swinn avait la formule choc. Franco aime filmer avant tout, à bien y penser, "ce qu'il filme n'a pas d'importance", en autant qu'il aie un projet en cours. C'est peut-être ça, la clé.

Difficile pour moi de ne pas me situer en tant qu'auteur, alors. La question du recul critique se pose avec acuité. J'ai eu cette impression curieuse, tout au long du film, que si quelqu'un (un producteur avisé ?) avait supervisé et jugulé le flux franquien, il y aurait eu quelque chose à tirer de cette matière brute. Brute, justement, comme ce que l'éditeur surréaliste Éric Losfeld (Le Terrain Vague) affirmait à propos de Mario Mercier : une littérature brute. Mercier et sa force de frappe qui n'avait pas déplu à Mandiargues, auteur lettré s'il en est.

Donc, Franco, un cinéaste brut. Sans doute. Sauvage. Probablement. Irréductible. Aussi. Pour le meilleur et pour le pire. On aimera donc. Ou non. Moi, malgré les faux-pas, je ne peux m'empêcher d'aimer. Comme un canard boîteux qui se redresse parfois sous la pluie et se met à marcher avec grâce, transfiguré. Parce que, dans le fond, la donne exclut tout calcul. Ne reste que l'incandescence. Et puis ce mot de Breton : La beauté sera convulsive ou ne sera pas...

02 mai 2008

J'avais promis d'écrire au moins une fois par mois sur ce blogue, alors allons-y pour les nouvelles de mai : j'en suis à la fin d'une session d'enseignement intense... Ce fut agréable, toutefois, même si les travaux littéraires ont dû être mis de côté.

Les négociations à propos de LA NUIT SOUPIRE QUAND ELLE S'ARRÊTE se poursuivent. Il reste un dernier point "litigieux" à régler. Souhaitons une entente à ce sujet : je pourrai alors dévoiler le nom de l'éditeur, qui souhaiterait faire paraître ce roman à l'automne 2008. J'aime beaucoup ce roman, radical, sans compromis. Il fut également très exigeant à produire sur le plan littéraire, car je le vois presque comme de la poésie en prose... pendant 400 pages !La revue QUÉBEC FRANÇAIS m'a commandé un texte pour un dossier à venir, "Littérature et musique". Ce sera l'occasion d'aborder certains mythes, comme Jeffrey Lee Pierce, Sky Saxon, Daniel Darc... J'ai également soumis quelque chose à la revue LE SABORD, sur le thème du "toucher" qui m'interpelle énormément : dimension essentielle de la vie, à donner et à recevoir comme un cadeau, avec intensité. Cela a donné un texte qui parle de l'île de Madère et d'éteindre le soleil en échange d'une étreinte éternelle.

Je suis en réflexion quant au titre de mon roman à paraître chez VENTS D'OUEST. Titre initial : COMME UN GOÛT D'AURORE SUR UNE IDÉE FIXE. On me propose ISARIELLE (nom du personnage principal). J'hésite encore. Des avis ?

Il faudrait aussi impérativement que je fasse quelque chose avec mon dernier roman LA MAISON AU FOND DE L'IMPASSE. Trop débordé par la fin de session, je le laisse s'empoussiérer ici sans même l'avoir soumis quelque part ! Mes lectures sont au point mort, à mon grand regret... Pas assez de temps. Cet été, je me promets de me ressourcer avec plusieurs des auteurs qui sont importants dans ma vie, André Héléna et ses personnages tragiques qui évoluent dans un univers battu par la pluie et la malchance, Gaston Leroux et sa poétique des phrases en italique, à propos duquel Jean Rollin avait tenté une expérience étonnante : placer, sur plusieurs vers successifs, toutes ces phrases en italique donne lieu à une poésie déconcertante. En effet, le presbytère n'a rien perdu de son charme ni le jardin de son éclat. Dans mes derniers ouvrages, j'ai d'ailleurs semé un peu partout des variations sur cette phrase à laquelle je pense souvent. Si d'aventure vous en voyez une déclinaison, vous pourrez sourire.(Clovis Trouille, La rue des enfants perdus)