11 juin 2017

Quelques nouvelles un an plus tard...

État des lieux : sinistré

Voilà presque un an que j'ai mis ce blogue à jour. Je profite donc de l'été qui vient pour ajouter un peu de neuf à ce qui s'apparente de plus en plus à un ossuaire littéraire. Elle est loin, l'époque pendant laquelle je rédigeais plusieurs billets par mois. 
C'est essentiellement un emploi chronophage qui explique cette situation : le travail d'enseignant à temps plein dans un collège public devient de plus en plus complexe, compte tenu de l'alourdissement considérable de la tâche, année après année. Je n'entrerai pas dans les détails, puisque la question a souvent été documentée dans divers médias, mais le contexte implique de faire des choix difficiles. Le blogue a donc été le premier à être mis de côté, suivi par l'émission de radio hebdomadaire que j'animais avec Ariane depuis plusieurs années. 

Le temps libre est donc devenu rare. L'année scolaire qui vient de se terminer n'aura donné lieu qu'à très peu de publications. L'avènement de la fin du monde s'en trouvera ralenti d'autant...! Les parutions se résument essentiellement à une novella (format à mi-chemin entre la nouvelle et le très court roman), "Au saloon des deux crânes", publiée dans l'ouvrage collectif Les murmurantes, dirigé par Ariane. 

Au saloon des deux crânes

C'est une initiative qui vient de ma chère compagne, dont l'oeuvre est fortement inspirée par les lieux, comme le savent ceux et celles qui suivent son parcours littéraire. Ainsi qu'elle l'explique dans la préface du livre en question, Ariane a eu l'idée de réunir six auteurs de la Mauricie. Chacun d'entre eux devait situer sa novella dans une ville de la région. Au sommaire, on retrouve mon camarade Michel Châteauneuf, mais aussi Raphaëlle B. Adam, François Martin, Mathieu Croisetière, Ariane et moi-même. 

Ma novella m'a demandé beaucoup plus de travail que je le prévoyais. Le texte final est plus long, plus ambitieux, et a exigé de nombreuses recherches documentaires. 

 Une phrase de l'intellectuel français Jacques Attali m'a servi de point de départ : « Comme au temps des plus anciens, nommer c'est reconnaître, c'est faire exister, c'est rendre éternel ». 
Si nommer quelque chose, c’est le faire exister, comme l'affirme Attali, les rêves et fantasmes qui s'accumulent dans un lieu précis finissent peut-être par en concrétiser la charge affective et symbolique. Année après année, plusieurs visiteurs du festival western de Saint-Tite entretiennent une relation ambivalente avec l'événement : comme des enfants qui jouent, ils y croient en sachant que c'est faux. L'espace de quelques jours, ils s'inventent une vie rêvée pour échapper à la banalité de leur quotidien. La charge affective de cette existence imaginaire, répétée depuis des décennies, se cristallise. 

Cette transfiguration du quotidien a particulièrement retenu mon attention. Je suis né à Trois-Rivières, où j’habite toujours en 2017, après avoir passé mon enfance à Champlain (village situé dans les environs). Quand j’étais plus jeune, je n’avais pas fréquemment l’occasion de lire des récits fantastiques contemporains dont l’action prenait place près de chez moi, voire au Québec. 

Pour certains amis de l’époque, une telle donnée relevait de l’aberration : 

 – Penses-tu vraiment que je pourrais croire à un personnage nommé l’inspecteur Robichaud, qui vit à Sherbrooke ? 

Ce genre de perception ne se limitait pas à une seule personne. 

Bien des années plus tard, un distingué collègue professeur me confiait sa réticence par rapport aux récits qui prenaient place au Québec. 

– Drummondville, soupirait-il à propos d'un roman de Patrick Senécal, ça suffit à me faire décrocher. 

L'affirmation n'a pas empêché cet enseignant d'accueillir Patrick quelques mois plus tard, dans le cadre d'une activité culturelle. Il lui a même déclaré publiquement son affection (j'allais écrire son affectation, lapsus significatif) devant un auditoire d'étudiants déjà gagnés à la cause de l'auteur d'Aliss. Ce collègue, de toute façon, lorsqu’il publiera son roman (sur lequel il travaille depuis plus de vingt ans…), sera au-dessus de telles considérations. 

Les charmes d'un terroir hanté

Pour ma part, loin de partager cet avis, j’ai eu une révélation dès l’adolescence en découvrant quelques films fantastiques réalisés au Québec – dont Rage et Frissons, de David Cronenberg, qui se déroulent à Montréal : cette superposition de lieux familiers et d’éléments surnaturels, loin de nuire au récit et à son impact, en décuplait l’étrangeté. Oui, ça arrivait aussi près de chez nous… pas juste dans des villes américaines ou européennes. 
Avec les années, j’ai eu l’occasion de contribuer à ce corpus. J’ai mis en scène la région dans divers projets. Par exemple, toute la première moitié de mon thriller Au rendez-vous des courtisans glacés (Les Six Brumes, 2015) prend Trois-Rivières pour cadre, de même que La maison au fond de l’impasse (Vents d’Ouest, 2011) et des romans inédits (l’un d’eux se déroule à Ste-Geneviève-de-Batiscan; un autre suit les déboires d’un groupe de musiciens qui répètent à Cap-de-la-Madeleine et se produisent en spectacle dans le cadre d’un festival situé à Saint-Pierre-les-Becquets). 

« L’arrière-pays » se prête particulièrement bien au fantastique, par ses décors naturels, son atmosphère, et, parfois, cette impression que le temps n’a pas d’emprise sur ces lieux qui échappent à l’urbanité, à ses diktats, à ses modes et à ses engouements éphémères. Des collections complètes de romans fantastiques en ont célébré la force d’évocation (entre autres « Angoisse », publiée aux éditions Fleuve Noir entre les années 1950 et 1970). 
Pour ma novella parue dans Les Murmurantes, j’ai combiné la culture western/country, l’exploration d’un cadre pittoresque et hautement rassembleur (Saint-Tite et son festival western annuel, mondialement connu), le choc provoqué par divers contrastes… J’ai bien sûr eu l’occasion de visiter le festival western à plusieurs reprises, et son irréalité m’a chaque fois étonné: allez à Saint-Tite en novembre et vous découvrirez une petite ville charmante, qui n’a rien à voir avec le climat frénétique et bariolé propre au festival. Il est difficile de circuler, les odeurs de friture se mêlent à celles des chevaux, voire des visiteurs. Plus les heures filent, plus on assiste à des scènes improbables et plus on croise des personnages hauts en couleur qui sortent d’on ne sait où. Où vont-ils après le festival ? Jouent-ils ou croient-ils réellement aux rôles qu’ils incarnent, cowboy, hors-la-loi ou autre hybride ? 

Ces éléments me paraissaient se prêter à un récit fantastique. Mon récit suit donc un couple en crise, espérant, le temps d’une fin de semaine, oublier les conflits qui sont en train de le détruire. C'est dans ce contexte que ces deux personnages découvrent un établissement spécialement créé pour l'occasion : Le Saloon des deux crânes...

L'anthologie en question réunit des novellas que j'ai appréciées pour différentes raisons : la plume évocatrice d'Ariane et de Raphaëlle, la charge sociale et le style très personnel de Michel Châteauneuf, l'atmosphère lourde et les personnages pittoresques du texte de Mathieu Croisetière, l'approche plus ludique de François Martin...

Horrificorama

Depuis longtemps, l’horreur en littérature et au cinéma suscite ma curiosité par son intensité et sa nature libératrice. Dans l’un des premiers ouvrages consacrés au sujet (Le cinéma fantastique, Seghers, 1970), le critique, historien et essayiste français René Prédal évoque quelques atouts du genre, par exemple celui de permettre aux lecteurs de « vivre plus intensément que derrière [leur] bureau ou [leurs] fourneaux », mais aussi sa capacité à « prospecte[r] […] les frontières de l’humain, [à matérialiser] les peurs les plus profondes ». L’horreur contribue à nous faire sentir plus vivants, comme après un tour de montagnes russes dont on ressort secoué, mais vivifié.
Pour moi, cette esthétique littéraire sera toujours indissociable d’une certaine transgression, associée à la perception négative que pouvaient en avoir certains membres de ma famille ou mes enseignants (j’ai fait une partie de mes études dans une école primaire dont les valeurs étaient religieuses et conservatrices – les unes allant de pair avec les autres, comme on le sait). 

Cette stigmatisation morale s’est poursuivie au-delà de ces sphères : voilà seulement une dizaine d’années, l’horreur était très mal vue par maints auteurs et critiques : on considérait le recours au genre ou à ses caractéristiques comme une faiblesse, un défaut! Le discours qui hiérarchise les écrits « nobles » et moins nobles ne date pas d’hier. En 2017, la perception de cette littérature a évolué, même s’il reste encore du travail à faire. Pour en arriver là, il a fallu que plusieurs écrivains s’appliquent à mettre au service du genre réflexion et ambition.
Le 25 août 2015, le critique et libraire Pierre-Alexandre Bonin m’envoyait un courriel pour solliciter ma participation à un ouvrage collectif qu’il me présenta comme « un recueil de nouvelles d’horreur, où 13 auteurs séviront dans 13 sous-catégories différentes de l’horreur ». Séviront, précisait-il. Intéressant… 

Je trouvai l’idée originale. La liste que Pierre-Alexandre avait jointe à son message témoignait de la diversité d’un domaine souvent perçu de façon réductrice. Parmi les choix se côtoyaient slasher, science-fiction horrifique, pulp, récit psychologique, histoire de possession et bien d’autres encore. La proposition, tout en étant ciblée, offrait aux auteurs un espace de liberté attrayant. Au final, 15 genres seront abordés dans le collectif, pour autant de textes.    
C’est avec enthousiasme que j’ai accepté de collaborer au projet. Mais – ce qui est typique de ma démarche – j’ai abordé cet univers de manière oblique par l’entremise d’une approche «  bizarro ». La nouvelle que je propose dans Horrificorama constitue par conséquent une destruction/déconstruction des codes du genre. Qui aime bien châtie bien, dit-on, et l’horreur elle-même ne se plaindra sans doute pas d’avoir été ainsi châtiée!

Bizarre, bizarre
Dans le collectif Bizarro (La Maison des viscères, 2015), l’auteur et éditeur Frédéric Raymond présente le genre homonyme comme « un savant amalgame d’horreur et d’idées folles, que ce soit fait d’une manière artistique et réfléchie ou dans le but de divertir le lecteur en l’invitant à visiter des mondes impossibles et, parfois, à l’allure incohérente […] ». Il s’agit de vouloir « repousser les frontières de l’imagination. C’est amener la littérature dans des zones peu explorées ».
Ce qui m’a notamment intéressé, c’est la possibilité de permettre au bizarro de contaminer non seulement le récit, mais aussi l’écriture. L’horreur devient stylistique. Le monstre, c’est désormais le texte. 

Cela dit, l’un de mes buts consistait à éviter de produire une nouvelle qui ne soit qu’une succession d’absurdités sans cohérence. Je me suis astreint à structurer un arc narratif complet avec une intrigue, laquelle contient un début, un milieu et une conclusion… le tout volontairement brouillé par un formalisme évident. Sous des dehors fantaisistes, l’ensemble développe une réflexion sur l’acte d’écriture et sur les liens qui unissent les auteurs et leurs personnages. 

Pour en savoir davantage au sujet du bizarro, on peut se référer à un site recommandé par Éric Gauthier sur son blogue Fractale framboise : https://bizarrocentral.com. Dans le genre, on peut également lire le collectif Bizarro (La Maison des viscères) et Le drive-in de Joe Lansdale.
Pour ceux et celles qui souhaitent soutenir l'initiative de l'éditeur (Les Six Brumes), il est possible de participer à la prévente ici : http://www.sixbrumes.com/legion/

Je profite de l'occasion pour vous souhaiter un agréable été 2017, ensorcelé à souhait.