24 juillet 2007

Jean Rollin au festival Fant-Asia 2007


Je ne suis pas le premier à l’affirmer : le festival Fant-Asia de Montréal, c’est l’occasion annuelle de découvrir des films qui sortent de l’ordinaire, qu’on n’aura pas nécessairement la chance de revoir - sur grand écran, bien sûr, mais même parfois en vidéo. Il faut donc en profiter, pour peu qu’on soit sensible à la création d’univers cinématographiques originaux, dérangeants et surprenants. C’est, d’une certaine façon, un brunch cinéphilique à la gloire de l’imagination et de l’exotisme.
Au fil des années, j’ai fait des découvertes étonnantes à Fant-Asia et j’ai pu voir des gens que j’admirais, comme l’acteur-cinéaste Paul Naschy et, cette année, l’écrivain-réalisateur français Jean Rollin.

Jean venait présenter son dernier film, LA NUIT DES HORLOGES. Si vous ne connaissez pas Rollin, ce serait complexe de résumer son parcours dans un petit article comme celui-ci. Il suffit de dire qu’il œuvre, depuis 1968, dans le domaine du « fantastique », certes, mais un fantastique très personnel, surprenant, original… Pour moi, son travail relève plus du surréalisme, mais d’un surréalisme structuré, organisé, qui utilise les images fortes de ce mouvement, tout en les mettant en valeur par des histoires au service de thèmes de plus en plus profonds, au fil des années : la création, le souvenir, la solitude, l’imagination, le vieillissement, etc.

Selon Jean Rollin, LA NUIT DES HORLOGES sera son dernier film. À 69 ans, aux prises avec des ennuis de santé, il préfère se consacrer à l’écriture. On peut le comprendre - ses livres sont par ailleurs souvent des réussites, qui s’inscrivent dans la lignée de ses films, tout en en approfondissant le contenu. À mon sens, l’une des clés essentielles pour comprendre l’œuvre de Jean Rollin, c’est la fréquentation de son œuvre littéraire.

Cette NUIT DES HORLOGES très autobiographique se déroule dans un climat triste, d’autant plus poignant qu’il reflète la réalité. Le film raconte le parcours-errance d’une jeune femme qui explore l’univers d’un parent décédé, l’écrivain-cinéaste Michel Jean. Les personnages de son univers fictif semblent lui avoir survécu, accompagnant la jeune femme dans un pèlerinage qu’elle fait au Père-Lachaise, puis dans la maison de campagne où l’artiste vivait.

Il est inutile d’en dire plus, car, comme pour beaucoup de films de J. Rollin, c’est en voyant LA NUIT DES HORLOGES qu’on comprend - film irréductible au résumé, comme peut l’être, dans un autre registre, L’ANNÉE DERNIÈRE À MARIENBAD de Resnais. Pour le fan de Rollin que je suis, ce film est véritablement un testament spirituel, puisqu'il utilise plusieurs extraits des oeuvres antérieures de Rollin, et fait aussi appel à plusieurs de ses comédiens-fétiches, des gens comme Natalie Perrey, Jean-Loup Philippe, etc. Une petite nouvelle dans son univers : l'actrice/auteure Ovidie, qui, après des débuts comme comédienne X, a décidé de devenir réalisatrice et comédienne dans des films dits "traditionnels". Ici, elle est solide, s'intégrant bien au monde de Jean Rollin. Elle a assez de charisme pour devenir l'une des rares comédiennes culte du cinéma fantastique, genre qu'elle aime par ailleurs. Selon moi, elle a l'envergure d'une Barbara Steele (je le pense), vouée à des rôles de femme solide, forte.


Depuis 1993 ou 1994, j’ai écrit à Jean Rollin à de nombreuses reprises. Il a toujours été cordial et généreux. J’avais eu l’occasion de le croiser à la sauvette en 2000, lors de la première de son film LA FIANCÉE DE DRACULA. C’était donc un moment particulier de pouvoir converser plus à fond avec Jean et de conduire une interview de fond avec lui - le support qui lui servira de publication demeure à déterminer.

Lors de la projection du FRISSON DES VAMPIRES (1970), un prix a aussi été remis à Rollin, soulignant sa ténacité et sa vision personnelle. Découvrir ce FRISSON sur grand écran était une expérience très particulière. Le film, surréaliste, humoristique, exprimental, a eu l’heur de déconcerter le public…


Avant mon retour pour Trois-Rivières, j’ai également eu l’occasion de voir le dernier Larry Fessenden (cinéaste indépendant américain dont le fantastique subtil et intelligent mérite d’être mieux connu, particulièrement HABIT et WENDIGO). Fessenden y présentait son nouveau film, THE LAST WINTER. Je dois avouer ne pas avoir trop été impressionné… Ce LAST WINTER me semblait trop ambitieux pour Fessenden, plus à l’aise dans des ambiances intimistes et minimalistes. Ici, on songe inévitablement à THE THING de Carpenter pour le décor, le climat de solitude, la paranoïa et la folie qui s’installent (une base de recherche aux confins de l’Alaska). Fessenden est un cinéaste doué, mais, cette fois, ça ne prenait pas : trop long, des dialogues ineptes (« fuck » à tous les trois mots…), une certaine confusion, également…


N’empêche : l’expérience Fant-Asia a été probante. Merci, notamment, à Simon Laperrière et à Patrick Lambert.

22 juillet 2007

Lectures d'été : LE VOLEUR DES STEPPES

C'est l'été que j'ai, généralement, le plus de temps pour lire. J'en profite pour me mettre à jour, faire des découvertes, etc.

Quelques mots sur un bon roman d'aventures québécois, écrit par un auteur de talent, Joël Champetier : LE VOLEUR DES STEPPES.


D'emblée, je dois avouer ne pas être un fan de "fantasy" (genre littéraire plus ou moins aisé à décrire, mais qui se déroule d'habitude dans un monde plus ou moins médiéval, ou la magie occupe une bonne place). Cela dit, j'étais curieux de voir ce que Joël Champetier avait écrit dans le genre, après avoir lu ses romans fantastiques de qualité (LA MÉMOIRE DU LAC, LA PEAU BLANCHE et mon préféré des trois : L'AILE DU PAPILLON, où il pousse l'imagination très loin, en plus d'offrir plusieurs niveaux de lecture).


Ce qui avait aussi piqué ma curiosité à propos du VOLEUR DES STEPPES, c'était une discussion que j'avais eue avec l'auteur, lors de l'inauguration de la librairie/bar à vin DE LA COUPE AU LIVRE, à Trois-Rivières. Joël avait évoqué ce gros roman de fantasy sur lequel il travaillait, son livre le plus volumineux jusqu'à présent. Quand le livre était paru, j'ai dû reconnaître, en effet, ses dimensions plus que respectables. On se prend à souhaiter un grand format pour qu'il soit plus visible en librairie, car, hélas, les livres de poche passent souvent inaperçus, surtout lorsqu'ils comptent plus de 600 pages...

Après l'avoir lu, je comprends à quel point ce roman a dû exiger un travail imposant, des recherches, une bonne planification. Le résultat est toutefois là : c'est un "roman d'été" dépaysant, vif, vivant, écrit dans un style impeccable (chapeau pour la précision constante du vocabulaire), qui sait à la fois être drôle, prenant, dramatique, inventif... Pour employer le cliché, "on passe par toute une gamme d'émotions"...

Les personnages sont bien dessinés, chacun avec leur langage propre, leur personnalité. Et des images fortes abondent (dont un chapitre impressionnant qui se déroule sous la terre).

En bref, voilà un bon roman pour les vacances, qui sait faire voyager...

18 juillet 2007

JE CHANTE À CHEVAL AVEC WILLIE LAMOTHE


Vous aurez compris mon affection pour le cinéma étrange, décalé, inhabituel.

Pour moi, ce cinéma prend une saveur particulière quand il est d'origine québécoise. Le grand livre sur le cinéma de série B québécois demeure à écrire : polars teigneux (GINA) ou ruraux (LE GRAND ROCK), fantastiques étranges (LE DIABLE EST PARMI NOUS), comédies débiles (Y A TOUJOURS MOYEN DE MOYENNER) ou "sexy" (LES CHATS BOTTÉS), même le western québécois existe (MUSTANG). Cet univers country/western est d'ailleurs très présent dans une certaine société québécoise. Ce qu'il y a de fascinant là-dedans, c'est que ce monde est à la fois en marge ET très populaire. Soutenu par quelques rares médias seulement (Par exemple, CJMS 1040, qui diffuse encore en mono, bande AM oblige !), le genre n'en est pas moins vigoureux, en témoignent les ventes incessantes de CD country en français ou en anglais, le festival western de St-Tite (événement annuel psychotronique et délirant), etc.


La compagnie de disques québécois MÉRITE (www.disquesmerite.com) a d'ailleurs réédité l'an dernier un grand nombre de CD de country québécois. J'aurai sans doute l'occasion de dire plus longuement, dans un avenir à déterminer, tout le bien que je pense de cette compagnie dont le travail de présentation et de remastérisation est extraordinaire.


Aujourd'hui, en fait, je voulais vous parler d'un film québécois dont le titre titre, déjà, est un programme à lui seul : JE CHANTE À CHEVAL AVEC WILLIE LAMOTHE.


Pendant 53 minutes, ce documentaire québécois produit par l'ONF suit les traces du " cowboy canadien-français ", Willie Lamothe, accompagné du (bon) guitariste Bobby Hachey. Des scènes de concerts divers sont entrecoupées d'entrevues de Lamothe et de collaborateurs. Pas piqué des vers, ce documentaire est fort amusant...

On y découvre bien entendu des moments pris sur le vif pendant le Festival western de St-Tite, qui en était alors à ses débuts (1971). Lamothe s'impose comme un luron de type plutôt joyeux, peu avare en anecdotes en tous genres. Populiste dans son approche, il refuse le star-system, préférant plutôt être près des gens.

À cet égard, la scène anthologique d'une mémé racontant comment elle est impressionnée de voir "en vrai" des vedettes de la télé est assez précieuse. La dame en question nous raconte candidement avoir vu des vedettes "au magasin". Pour ne pas les incommoder, elle se cache entre deux rayons, et ainsi, elle peut longuement les observer !

D'autres scènes sont tirées de l'émission de télé LE RANCH À WILLY, avec le comique québécois "le Père Gédéon", doté d'un accent du terroir caricatural, qui n'hésite pas à sermonner Willy : "Tu t'es fait fourrer en achetant c'te vache-là" !

Willy et les animaux, alors ? Il a mis du temps à s'acheter un cheval, mais on lui disait qu'un chanteur de "musique western canadienne" ne pouvait pas vivre sans le fidèle compagnon du cow-boy. Lamothe finit par obtempérer, mais son cheval est moins docile qu'on ne le croirait.

JE CHANTE À CHEVAL AVEC WILLIE LAMOTHE propose aussi des images du groupe du fils de Willie : OFFENBACH. C'est l'occasion de découvrir un Gerry Boulet jeune et moustachu, qui chante en anglais tout en plaquant deux accords rock and roll sur son orgue. Le cow-boy canadien reconnaît être un peu désorienté face à cette musique, mais il encourage son fils dans sa passion. Après le hockey et le golf, pourquoi pas le rock québécois viril, après tout (cela dit, j'aime bien la messe rock d'Offenbach) ?

Certaines scènes donnent du "western canadien" une image un peu pathétique ; Willie Lamothe entouré de grâces croulantes qui faussent allègrement, des paroles profondes du genre "Quand le soleil sourit aux montagnes", Willie donnant un concert pendant un encan ou chantant "Alouette, gentille alouette" avec un enfant, autour d'un feu... Disons qu'on pourrait recommander le visionnement à un grand dépressif. Les chances de guérison augmenteraient sans doute. Ça et une visite au marché aux puces, rien de mieux pour redonner un sens à votre vie.

Pour une image encore plus décadente et abrasive du chanteur, on se reportera au film de Gilles Carle LA MORT D'UN BÛCHERON, où il incarne un tenancier de cabaret d'un genre assez extravagant.

JE CHANTE À CHEVAL AVEC WILLIE LAMOTHE fut produit par l'ONF, dont le catalogue est moins austère qu'on pourrait le croire à première vue.

13 juillet 2007

Prendre de la drogue, c'est vilain !


Au courant des années 30, le gouvernement américain désirait sensibiliser le public aux ravages de la drogue. On mettait tout dans le même sac (j'allais écrire : "dans le même sax... dérive musicale), drogues "dures" ou "douces". Comme l'affirmait l'un des slogans de films propagandistes de l'époque :

A PUFF
A PARTY
A TRAGEDY !


Belle gradation.

Films propagandistes de l'époque ? Oui, au courant des années 30, plusieurs longs-métrages de fiction furent réalisés pour convaincre le public américain de fuir toute forme de drogue, sous peine de devenir un monstre fou assoiffé de sang.



Je vous parle aujourd'hui de l'un de ces films, j'ai nommé :

Reefer Madness (alias Doped Youth)
réalisé par Louis J. Garnier en 1938

Le réalisateur, comme plusieurs confrères, saisit ce prétexte rêvé de beaucoup de cinéastes en mal d’exploitation : leur prétendue mission « éducative » leur permettait de montrer à l’écran des images de dépravation, de meurtre et de folie. Berné par l’argument type (« il faut faire peur au public en lui montrant des images fortes qui lui feront fuir la drogue et ses ravages »), le comité de censure américain fermait les yeux. C’était une partie de la vérité. L’autre aspect était celui des "Roadshows" : tel un cirque, une petite troupe circulait de ville en ville, s’arrangeant avec les propriétaires de salles pour des projections improvisées pendant lesquelles ils vendaient des livres d’information, etc.

Reefer Madness s’inscrit dans ce courant, prônant la thèse risible d’après laquelle la marijuana, en plus de créer une très forte dépendance, conduit au meurtre et à la démence. On ne regardera donc pas ce film dans le but d’obtenir une information sérieuse et valable sur le sujet, mais plus comme un témoignage historique signalant la désinformation tolérée (voire valorisée) par les autorités américaines de l’époque, dans le but d'inculquer une certaine idéologie auprès de la population.


Quoi de mieux, pour séduire les foules, qu’une belle histoire bien convaincante, mais fictive ? Suivons donc les déboires d’un jeune homme de bonne famille, qui s'est épris d’une jeune étudiante modèle. Le frère de celle-ci succombe aux invitations du bellâtre Ralph, qui fréquente un vendeur de drogue. Après divers déboires (exacerbations érotiques, conduite dangereuse, etc.), tout ce beau monde aboutit dans un appartement où un drame survient. Et voilà !

Dans le style, REEFER MADNESS demeure un classique psychotronique qui se laisse regarder avec un certain sourire, vu ses outrances : il faut voir, à titre d’exemple, ce pianiste déchaîné qui joue d’un air halluciné après avoir trop fumé…! Cabotinage et démence. Le public a dû être traumatisé, et il semble que ce film n’ait pas peu contribué aux lois intransigeantes qui s’en prirent par la suite aux drogues dites « douces ».

La version idéale du film est celle éditée par Something Weird (DVD THC Triple Feature), en meilleur état que les autres copies en circulation. Ce DVD contient aussi deux autres films du genre : ASSASSIN OF YOUTH et MARIHUANA, en plus de différents suppléments.

03 juillet 2007

Entrevue inédite avec moi-même

À l'automne 2004, on m'avait demandé d'écrire une mini-entrevue avec moi-même (!) pour diffusion au Collège Laflèche où j'enseignais la littérature (soit dans l'un des journaux du Collège ou sur le site de cette institution). Ce texte est demeuré inédit. Le voilà en première :

Professeur au Collège Laflèche, Frédérick Durand vient de publier son septième roman, L’île des Cigognes fanées, paru en août dernier chez La Veuve Noire éditrice. Ce roman fantastique se réclame de l’actualité à plus d’un titre, puisqu’il se déroule notamment dans le milieu olympique ! L’Île des Cigognes fanées raconte comment Alain Dalenko, un jeune professeur du Collège de Noireterre, se voit confier une mission très particulière : devenir juge pour des Jeux Olympiques surnaturels, qui se déroulent dans l’étrange ville de Monochrome. Dalenko devra évaluer des épreuves aussi curieuses que l’athlétisme nucléaire, le nautisme spectral, le débandelettage des momies ou le dressage d’icebergs. Lors d’une rencontre… fantastique, Durand le professeur a accepté d’interviewer Durand l’auteur…

Question – Dans L’Île des Cigognes fanées, vous décrivez le quotidien d’un professeur qui enseigne à une classe d’étudiants dangereux dotés de pouvoirs surnaturels. S’agit-il d’un reflet du réel ?

Réponse – Mes étudiants me surprennent parfois par leur vivacité d’esprit. Lisent-ils les réponses dans mes pensées ? Je préfère croire que, d’une année à l’autre, je découvre beaucoup de talent dans mes classes.

Question – Pourquoi cette persistance à œuvrer dans le genre fantastique ?

Réponse – J’ai écrit des textes qui appartiennent à d’autres genres littéraires (notamment un texte de prose poétique pour Le Sabord, périodique d’art et de littérature). Mes prochaines parutions (si les éditeurs acceptent ces romans) devraient d’ailleurs explorer d’autres univers, notamment le roman historique.

Question – Quelles sont vos influences ou vos auteurs favoris ?

Réponse – J’ai une prédilection pour les auteurs méconnus ou inconnus, qui pratiquent une littérature déstabilisante et audacieuse. J’aime particulièrement la série de romans fantastiques publiés au Fleuve Noir par Marc Agapit au courant des années 1960. Je suis aussi attiré par le roman noir français, par exemple celui que pratiquaient de véritables « titans » de l’écriture comme André Héléna, Claude Ferny ou, plus récemment, Georges-Jean Arnaud. Ces auteurs n’hésitent jamais à bien situer leurs œuvres dans un contexte social précis, ce qui les rend encore plus troublantes. Au Québec, j’apprécie entre autres Patrick Senécal dont la force de frappe est très efficace.

Question – Avez-vous un conseil ou un truc à donner aux étudiants du Collège Laflèche qui aimeraient un jour être publiés ?

Réponse – Ne jamais se décourager. Écrire, réécrire, ré-réécrire. Se dire que presque tous les écrivains reçoivent des refus de la part des éditeurs, à leurs débuts. Il faut y voir un défi et s’efforcer de faire mieux.

Note de 2007 : le roman historique en question, AU CARREFOUR DES 3 ÉCLIPSES, parut en 2006 chez JCL.