01 septembre 2009
Croyez à mes envoûtements distingués
Lors de ma dernière virée à Montréal, je me suis arrêté à la Librairie Guérin (sur St-Denis). Vu de l'extérieur, l'endroit ne paie pas nécessairement de mine. À voir la morne vitrine étaler ses ouvrages fanés aux couleurs anachroniques, on a l'impression qu'il s'agit d'une librairie spécialisée dans les manuels scolaires. L'endroit est d'ailleurs assez singulier : une aire très restreinte destinée aux clients et un vaste espace situé derrière le comptoir. Je me souvenais y être allé voilà un bout de temps déjà et y avoir repéré un certain nombre de vieux pulps.Cette fois, j'ai été séduit par un roman au titre baroque : Croyez à mes envoûtements distingués, signé par une certaine Nadine de Longueval. La page couverture est signée par l'illustrateur Michel Gourdon, célèbre pour ses dessins destinés aux collections Angoisse et Special-Police de l'éditeur Fleuve Noir. Gourdon avait un style inimitable, à la fois romantique et bizarre (certaines de ses pages couvertures sont très drôles, j'ignore si c'était volontaire ou non. Il avait l'habitude, par exemple, de représenter des matous griffus et colériques, qu'il aimait placer à l'avant-plan. L'effet produit était décalé et bizarrement carnavalesque. Pour le roman dont je parle aujourd'hui, il a représenté une femme à l'air las, à côté de laquelle se dressent trois monstres invraisemblables.)Pour continuer à bien décrire l'étrangeté de ce bouquin, on notera qu'il est publié par le Fleuve Noir dans une collection dont je n'avais jamais entendu parler : "Présence des femmes", une collection majoritairement écrite par des auteures et destinée à un lectorat féminin. La collection n'a pas dû avoir une longévité considérable... Ce livre, paru en 1970, en constituait le 27e numéro. On trouve une liste des parutions précédentes, à la fin du livre. Certains titres sont assez irrésistibles : Rayon mariage, Le Métier de mari, Le Carnaval des coeurs...Le quatrième de couverture ne manque pas de charme. Une longue énumération décrit les composantes du livre : "Landes et mers bretonnes, calvaires terrifiants, légendes à faire peur, cris horribles dans la nuit d'encre [...], ravissantes jeunes filles, femmes étranges, envoûtantes, atmosphères de passion et de sensualité [...], disparitions, réapparitions, mystère, énigme et imbroglio". Cette prolifération d'éléments fait imaginer une sorte de roman extravagant et insensé auquel un principe d'accumulation donnerait sa structure narrative. Mais est-ce le cas ? Rêvons-nous ? Mystère, bien évidemment, car je n'ai pas lu ce livre, faute de temps. L'objet inusité qu'il constitue, en tout cas, est une jolie énigme, et comme les masques sont parfois plus séduisants que ce qu'ils recouvrent, il est agréable de laisser régner l'incertitude et d'imaginer tous les possibles. Je me plais à voir planer sur ce livre l'ombre de la grande Anne Radcliffe et de ses châtelaines perdues dans des architectures gothiques démesurées, courant dans une nuit si opaque qu'elle est presque solide.
La première page du livre donne à lire une prose délicieusement alambiquée : "Ce poète refoulé et voué à des besognes mercenaires avait toujours préféré, aux fastes trop pratiqués et trop courus du Midi, aux mimosas de la Côte d'Azur et à ses décors touristiques, la plus secrète et déconcertante beauté des pays gris, humides, lumineux, pourtant, à leurs heures, au mélange de brume et de soleil retenu, au charme des cieux plus pâles sur les antiques localités que patinent leurs souvenirs historiques, recuites dans la dorure du passé, comme les portraits d'ancêtres ou les toiles de musées". On aurait voulu que la phrase continue encore pour se perdre encore plus dans ses dédales ! Il est également amusant de garder à l'esprit que cette collection visait un lectorat populaire...Je laisserai à l'autrice le soin de conclure ce billet par cette description qui annonce les plaisirs de l'automne à venir :
"L'averse glacée débordait par petits flots argentés des gouttières tordues, ravaudées comme des chaussettes de pauvresses ; l'eau ruisselait des gargouilles aux faciès de monstres mélancoliques et rebondissait sur les pavés chaotiques, pétillant au bord du trottoir en engorgeant le caniveau. Un vent frileux charriait à l'horizon des nuées plombées, verdâtres. Et, au loin, les remparts où l'ombre s'étendait par degrés masquaient les premières plaines et le petit bois campagnard"...
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