Voilà
quelques années (déjà), j’ai rendu compte sur ce blogue d’une série de romans
qui constituent une sorte de double maléfique et infernal de Bob Morane :
Don, par Henri Vernes.
Comme
beaucoup de jeunes garçons, j’ai été influencé par l’œuvre de Vernes,
découverte quand j’étais âgé de 9 ou 10 ans. Les aventures de Bob Morane
réunissaient certes l’action et l’exotisme, mais elles convoquaient en outre
plusieurs genres littéraires comme la science-fiction, le fantastique,
l’espionnage, le récit de guerre et le polar. Vernes m’aura entre autres lancé
sur la piste du fantastique belge, puisque nombre de ses ouvrages mentionnaient
le nom de Jean Ray. L’auteur pour la jeunesse servit en quelque sorte de
passeur : c’est par son entremise que je connus non seulement Jean Ray,
mais également Thomas Owen, Claude Seignolle, Michel de Ghelderode et d’autres fantastiqueurs
francophones importants révélés par la collection « Marabout
fantastique » des éditions Gérard. Ces auteurs allaient exercer une
influence sur ma pratique d’écriture par leur vision métaphysique du monde et
par leur style ciselé, très européen, visant avant tout la force d’évocation et
la création d’atmosphères. Il est de ces lectures que l’on n’oublie pas, telles
celles du Carrousel des maléfices et de Malpertuis de Jean Ray.
J’avoue
n’avoir relu aucun « Bob Morane » une fois que j’ai commencé à
m’intéresser aux ouvrages destinés à un public adulte, soit vers 12 ou 13 ans.
J’ai toutefois gardé le souvenir de romans insolites comme Krouic
ou de l’ambiance gothique et marécageuse de l’étrange série consacrée aux
« Crapauds » dont la châtelaine Aude de Machelouve constitue une
figure féminine mémorable.
Par la suite, j’appris qu’au début des années 1980, Henri
Vernes, quelque peu lassé des contraintes de la censure, s’était autorisé un
« retour du refoulé » monstrueux dans une série signée sous
pseudonyme : Don. Don, c’est le non-dit des
Bob Morane, multiplié par mille. C’est tout ce qu’Henri Vernes ne pouvait ni
n’osait écrire auparavant et qui surgit soudain, une fois les barrières de la
bienséance effondrées, une série qui choqua nombre d’admirateurs de Bob Morane.
Les livres en cause n’étaient pas des plus faciles à
dénicher jusqu’à ce que l’éditeur shawiniganais Perro éditeur prenne
l’étonnante initiative de les rééditer sans tricher : textes en version
intégrale et dont le contenu subversif est bel et bien annoncé sur la page
couverture. Les rééditions sont en cours en ce moment, à un prix tout à fait
modique.
Voilà quatre ans, le même éditeur s’aventurait sur un
territoire similaire, mais moins périlleux, en rééditant le tout premier roman
de Vernes, La porte ouverte, initialement publié en 1944, mais rédigé en
1942 alors que l’écrivain belge était âgé de 24 ans. Je viens de terminer la
lecture de ce premier ouvrage qui aborde le goût de l’aventure d’une manière
plus intimiste.
La porte ouverte, c’est avant tout le récit d’un
apprentissage sentimental, celui de Frédéric Grégory, jeune adulte
intransigeant et épris de liberté. Si l’homme multiplie les conquêtes et
s’avère un noceur enthousiaste, il devient victime d’un rêve dans lequel il
voit une jeune femme qui porte le masque de la douleur et du péché. Dès lors,
il ne cesse de vouloir rencontrer cet être mythique jusqu’au jour où il
croise, en pleine rue, une inconnue nommée France qui ressemble énormément à
son fantasme. Mais France est un être humain et non un mythe. Le choc
entre la fantasmatique et la réalité sera brutal…
C’est un roman parfois naïf, mais doté d’un certain charme.
Dans ce texte qui se veut ambitieux et écrit, on retrouve certains des
« clichés parlants » de la littérature populaire, voire les tournures
fleuries qu’affectionnait Vernes quand il décrivait certains personnages
féminins dans ses histoires destinées au jeune public. On sait par exemple que
« Miss Ylang-Ylang » a marqué l’imaginaire des jeunes lecteurs.
L’attrait pour le voyage est également présent, ne serait-ce
que par l’entremise de plusieurs chapitres consacrés à un séjour en Égypte,
dans lesquels l’auteur se livre à des descriptions lyriques de l’environnement.
Si le déroulement du roman demeure somme toute conventionnel, La porte ouverte offre
une manière différente de découvrir l’univers mental de Vernes, qui convoque Nietzsche et d’autres figures philosophiques, artistiques ou littéraires. Les
curieux pourront en faire la découverte aisément grâce à la réédition de Perro
éditeur, agrémentée d’une brève préface de Vernes lui-même.
« Les salles s’ouvraient, à la mauresque, sur un patio
central dont les dalles de marbre rose miraient les colonnades de la fontaine
et les vols d’échassiers dans le ciel. Devant, un jardin cascadait vers le Nil,
frangeait la berge de séniles palétuviers. Et le fleuve, à vastes coups
d’épaules, frayait sa route au cœur millénaire des sables ».
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