09 août 2016

Une porte ouverte sur la jeunesse d'Henri Vernes


Voilà quelques années (déjà), j’ai rendu compte sur ce blogue d’une série de romans qui constituent une sorte de double maléfique et infernal de Bob Morane : Don, par Henri Vernes.
Comme beaucoup de jeunes garçons, j’ai été influencé par l’œuvre de Vernes, découverte quand j’étais âgé de 9 ou 10 ans. Les aventures de Bob Morane réunissaient certes l’action et l’exotisme, mais elles convoquaient en outre plusieurs genres littéraires comme la science-fiction, le fantastique, l’espionnage, le récit de guerre et le polar. Vernes m’aura entre autres lancé sur la piste du fantastique belge, puisque nombre de ses ouvrages mentionnaient le nom de Jean Ray. L’auteur pour la jeunesse servit en quelque sorte de passeur : c’est par son entremise que je connus non seulement Jean Ray, mais également Thomas Owen, Claude Seignolle, Michel de Ghelderode et d’autres fantastiqueurs francophones importants révélés par la collection « Marabout fantastique » des éditions Gérard. Ces auteurs allaient exercer une influence sur ma pratique d’écriture par leur vision métaphysique du monde et par leur style ciselé, très européen, visant avant tout la force d’évocation et la création d’atmosphères. Il est de ces lectures que l’on n’oublie pas, telles celles du Carrousel des maléfices et de Malpertuis de Jean Ray.
J’avoue n’avoir relu aucun « Bob Morane » une fois que j’ai commencé à m’intéresser aux ouvrages destinés à un public adulte, soit vers 12 ou 13 ans. J’ai toutefois gardé le souvenir de romans insolites comme Krouic ou de l’ambiance gothique et marécageuse de l’étrange série consacrée aux « Crapauds » dont la châtelaine Aude de Machelouve constitue une figure féminine mémorable.
Par la suite, j’appris qu’au début des années 1980, Henri Vernes, quelque peu lassé des contraintes de la censure, s’était autorisé un « retour du refoulé » monstrueux dans une série signée sous pseudonyme : Don. Don, c’est le non-dit des Bob Morane, multiplié par mille. C’est tout ce qu’Henri Vernes ne pouvait ni n’osait écrire auparavant et qui surgit soudain, une fois les barrières de la bienséance effondrées, une série qui choqua nombre d’admirateurs de Bob Morane.
Les livres en cause n’étaient pas des plus faciles à dénicher jusqu’à ce que l’éditeur shawiniganais Perro éditeur prenne l’étonnante initiative de les rééditer sans tricher : textes en version intégrale et dont le contenu subversif est bel et bien annoncé sur la page couverture. Les rééditions sont en cours en ce moment, à un prix tout à fait modique.
Voilà quatre ans, le même éditeur s’aventurait sur un territoire similaire, mais moins périlleux, en rééditant le tout premier roman de Vernes, La porte ouverte, initialement publié en 1944, mais rédigé en 1942 alors que l’écrivain belge était âgé de 24 ans. Je viens de terminer la lecture de ce premier ouvrage qui aborde le goût de l’aventure d’une manière plus intimiste.
La porte ouverte, c’est avant tout le récit d’un apprentissage sentimental, celui de Frédéric Grégory, jeune adulte intransigeant et épris de liberté. Si l’homme multiplie les conquêtes et s’avère un noceur enthousiaste, il devient victime d’un rêve dans lequel il voit une jeune femme qui porte le masque de la douleur et du péché. Dès lors, il ne cesse de vouloir rencontrer cet être mythique jusqu’au jour où il croise, en pleine rue, une inconnue nommée France qui ressemble énormément à son fantasme. Mais France est un être humain et non un mythe. Le choc entre la fantasmatique et la réalité sera brutal…
C’est un roman parfois naïf, mais doté d’un certain charme. Dans ce texte qui se veut ambitieux et écrit, on retrouve certains des « clichés parlants » de la littérature populaire, voire les tournures fleuries qu’affectionnait Vernes quand il décrivait certains personnages féminins dans ses histoires destinées au jeune public. On sait par exemple que « Miss Ylang-Ylang » a marqué l’imaginaire des jeunes lecteurs.
L’attrait pour le voyage est également présent, ne serait-ce que par l’entremise de plusieurs chapitres consacrés à un séjour en Égypte, dans lesquels l’auteur se livre à des descriptions lyriques de l’environnement. Si le déroulement du roman demeure somme toute conventionnel, La porte ouverte offre une manière différente de découvrir l’univers mental de Vernes, qui convoque Nietzsche et d’autres figures philosophiques, artistiques ou littéraires. Les curieux pourront en faire la découverte aisément grâce à la réédition de Perro éditeur, agrémentée d’une brève préface de Vernes lui-même.

« Les salles s’ouvraient, à la mauresque, sur un patio central dont les dalles de marbre rose miraient les colonnades de la fontaine et les vols d’échassiers dans le ciel. Devant, un jardin cascadait vers le Nil, frangeait la berge de séniles palétuviers. Et le fleuve, à vastes coups d’épaules, frayait sa route au cœur millénaire des sables ».

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