01 juillet 2009

Soubresauts montréalais

Régulièrement, je vais à Montréal pour visiter un cercle d'amis cinéphiles et chers à mon coeur. Je reviens toujours de ces rencontres ressourcé et avec un sentiment de légèreté. On a notre petit rituel pas très compliqué : se rencontrer à l'heure convenue, aller parfois fouiner un peu à L'Échange, sur Mont-Royal, puis souper entre amis et apprécier une soirée psychotronique à la Brasserie Cherrier, rue St-Denis, endroit haut en couleur au décor kitsch et dont l'un des employés ressemble de façon troublante à l'un des malfrats du film de Wes Craven The Last House on the Left.On trouve également là un juke-box que nous alimentons parfois de succès douteux. Notre dernière trouvaille : on paie le même prix pour un morceau qui dure 2 minutes... ou pour une chanson qui en dure 17. Tentative vérifiée en faisant jouer le hit psychédélique d'Iron Butterfly (groupe psyché US qui sévit à la fin des années 60 et au courant des seventies), "In-A-Gadda-da-Vida", qui figurait parmi les sélections disponibles de ce juke-box. Commentaire de ma part en voyant ce titre:
- Non, ils n'ont pas osé ? Ça doit être une version écourtée.Il fallait confirmer, et aussitôt l'expérience amorcée, ça part pour 17 minutes de solos d'orgue acid, de guitare fuzzy, de rythmiques tribales avec... impensable... un long solo de batterie à mi-chemin ! On décide donc de maximiser notre investissement en choisissant systématiquement des pièces de 12, 13, 14 minutes, ce qu'on parvient à faire, métamorphosant notre petite mise monétaire en choix de DJ improbable et avide de chansons interminables. L'expérience fut rigolote et assez en phase avec le caractère kitsch du Cherrier.Ce caractère kitsch m'amène à vous parler d'un ouvrage assez amusant de Sébastien Diaz paru aux éditions La Presse et qu'une amie à moi, Gayle, a porté à mon attention voilà quelques mois : Montréal kitsch. L'ouvrage se veut une sorte de guide touristique qui présente 98 endroits pittoresques. Après une définition du terme kitsch et quelques exemples ("Vieux panaches d'orignaux, chemises western en polyester authentiques des années 70, lunettes de secrétaire en peau de crocodile... Lorsque ce qui a pu être out prend une allure définitivement in"), le parcours commence avec la liste des "incontournables" (notamment le Métro de Montréal - bien sûr, mais il fallait y penser ! Diaz décrit l'endroit ainsi : "Un véritable melting-pot de formes et de couleurs dont le côté kitsch est indéniable. Pastilles bleues semblant sorties d'un décor de Passe-Partout, mosaïques nous ramenant au macramé des années 70, briquetage jaune-orange digne de la cafétéria du cégep le plus reculé..."-, les Pyramides olympiques, l'Auditorium de Verdun "avec son look de grand entrepôt en tôle" et le Cinéma l'Amour où, plutôt que sur l'écran, c'est dans la salle "que semble se dérouler le gros de l'action").On trouvera aussi une liste d'endroits où manger, parmi lesquels le Restaurant Blanche-Neige (une murale immense représente "Blanche-Neige et ses sept nains [...] peints à même la structure du restaurant, en version panorama". On ne s'étonnera pas d'apprendre que "le Blanche-Neige a littéralement de quoi transformer une lasagne gratinée de fin de soirée en spectacle hallucinogène à grand déploiement) et le Spirite Lounge, "tenu par un hippie pur et dur autobaptisé Rozman et dégageant une forte odeur de patchouli". Où boire ? La Taverne Cou-Cou dont le groupe résidant, le duo Unisson, mêle "bandes préenregistrées à des solos de bongo, de tambourine ou de guitare, la musique de la formation musicale la plus psychotronique en ville" ; la Brasserie de Nos Aïeux ("L'enseigne au-dessus des machines de vidéopoker est formelle : SVP, un joueur par appareil") ; le Barfly ("Peut-être est-ce le vieux piano droit poussiéreux, le buste d'Elvis à la peinture écaillée ou le panneau de carton grandeur nature de Saku Koivu à la jambe manquante qui donnent l'impression très profonde de se retrouver dans le débarras ou le sous-sol d'un vieil oncle "ramasseux" d'objets inutiles. À moins que ce ne soit le vieux jeu de dards, la table en bois datant de l'âge de pierre ou les murs en ciment bleu marin qui confèrent à l'endroit le charme d'une salle de lavage de sous-sol de HLM") ?Où dormir ? Au motel Lido, après un passage par son Salon Chabord, "véritable cachot médiévo-cheapo" ! Où faire son shopping ? Chez Ameublements Elvis (le proprio se rendit à Vegas pour avoir le droit d'utiliser le nom du King pour son commerce), Dollar découverte (si vous cherchez "un tapis volant de Turquie, une épée de ninja ou une imitation de vase Ming en plastique vert fluo") ou Méga Dollar (Diaz cite quelques propos entendus là-bas : "Est-ce qu'il y a une limite d'articles par client ?" ; "Je ne trouve le rayon des pneus de voiture"). Où se divertir ? Des soirées de lutte au Centre saint-Barthélémy en passant par le Café chrétien de Montréal, le Bowling Darling, le Bingo Mont-Royal... On n'oubliera pas une épicerie vaudou et un plan d'attaque pour vivre une "journée kitsch" de même que quelques annexes bien utiles.(Photo d'une virée dans un autre bar halluciné de Montréal, le "Davidson" où une poète renommée de Montréal nous avait entraînés un soir, un - grand - ami et moi).

En gros, l'ouvrage (dont la page de gauche contient une photo et chaque page de droite, une présentation d'un endroit kitsch) se lit avec le sourire et permet d'immortaliser un monde qui est en train de disparaître. Il serait bien amusant d'en faire autant pour la Mauricie, je pense d'ailleurs à certains endroits pas trop loin de chez moi, comme ce Bar Rétro dont l'enseigne annonce : "Elvis, Beatles, Beach Boy", comme si le budget réduit du bar lui permettait seulement de faire entendre aux clients un seul des Beach Boys.Quand je me retrouve dans un tel endroit (ce qui n'arrive pas si souvent qu'on serait tenté de le croire), je me dis souvent que j'assiste aux derniers soubresauts d'une sous-culture qui retournera bientôt au limon originel dont quelque démiurge imprévisible l'a tirée au sortir d'un rêve fiévreux qu'il confondait sans doute avec l'état de veille...

5 commentaires:

Anonyme a dit...

:) très intéressant !

Damien a dit...

J'ai pris beaucoup de plaisir à lire ce billet, qui me renforce dans l'idée que je DOIS non seulement découvrir un jour Montréal, mais aussi acquérir de toute urgence une imitation de vase Ming en plastique vert fluo. Je crois que ça ferait très bien dans mon salon, sous la photo d'Elvis à l'encadrement clignotant ;o)

Frédérick a dit...

Merci, cher/chère anonyme et cher Damien (dont j'ai tant entendu parler au fil des années... toujours en bien, évidemment !). Des commentaires qui aident à persévérer dans la rédaction de ce blogue !

Quant à Montréal... ville bigarrée et incroyable, que j'adore ! J'ai bien failli y déménager en 2007... ma fameuse maison seventies style, surnommée la "maison (hantée) au fond de l'impasse" ayant même été mise en vente un certain temps ! Mais les fantômes qui y logent n'ont pas voulu que je déménage, trop heureux sans doute de cohabiter avec quelqu'un qui les comprenne ! Et qui vive sans défaillir dans une maison qui ressemble à celle qu'on voit dans le film (culte) de Jess Franco "LA COMTESSE PERVERSE" (véridique !)

Restent donc, cependant, les endroits kitsch de Trois-Rivières à honorer, tels le célèbre COCONUT BAR, les Marchés aux puces régionaux (où j'ai récemment acheté d'étranges photoromans qui feront sans doute l'objet d'une mise en scène photographique avec mon chat jaune prochainement) et bien d'autres joyeusetés comme le Restaurant chez SARAH, un démarquage régional de la chaîne de restaurants CORA où des oeuvres approximatives peintes au pochoir côtoient des brins de paille collés aux murs et des serveuses patibulaires qui, suivant l'expression consacrée, semblent tout droit "sorties d'un film de prison de femmes philippin des années 70" !

Damien a dit...

Hébé, ça donne vraiment envie d'y aller manger! Être pris en charge par un bataillon de serveuses tout droit sorties d'un film de prison pour femmes philippin des années 70, il y a de quoi ravir un cinéphile bisseux de mon espèce!

Frédérick a dit...

Il y a d'ailleurs un autre resto, grec, cette fois, où le service est encore plus militaire ! On nous interdit notamment de boire plus d'une bouteille de vin par deux personnes ! Et gare à vous si vous tentez de négocier !

Il me faudrait des photos à l'appui pour illustrer mes dires, mais, hélas, je ne suis pas sûr que ces "accortes" dames accepteraient d'être ainsi immortalitées dans l'exercice tyrannique de leurs fonctions !