Pour entamer cette nouvelle année, je vous livre le résultat de quelques recherches que j'ai faites cet automne.
Les lecteurs de ce blogue connaissent ma curiosité envers les films qui sortent de l'ordinaire. Quand ils sont québécois, ces films ont pour moi un cachet spécial. De voir, par exemple, une épidémie de rage dévaster Montréal dans Rabid (Cronenberg, 1976) a quelque chose d'assez singulier, d'autant plus que l'une des séquences se déroule dans un centre commercial où l'on peut apercevoir des repères familiers : pharmacies et boutiques bien connues, notamment.
La série B, par la liberté que lui conféraient ses devis minimaux (évitant aux réalisateurs trop d'interférences extérieures et un propos trop consensuel souvent déterminé par la recherche du profit propre à l'industrie du film "à gros budget"), était donc un lieu d'expérimentation où se croisaient parfois l'avant-garde (art et essai) et des visées plus populaires.
Beaucoup de livres et de fanzines ont été consacrés à diverses cinématographies nationales en ciblant un aspect spécifique : le cinéma d'épouvante espagnol, par exemple, les films fantastiques mexicains ou canadiens, etc. Cependant, aucun ouvrage ne s'est penché sur le cas de la série B québécoise, alors que ces films sont souvent étonnants (pour les raisons citées plus haut, à cause de l'inventivité dont doivent faire preuve certains réalisateurs pour pallier le manque de moyens, etc.)
Cet automne, j'ai parcouru différents ouvrages de référence pour dresser une liste des "séries B québécoises" auxquelles on devrait, un jour, consacrer un livre. Mon outil de travail principal : les recueils annuels publiés par l'Office des Communications Sociales (maintenant devenu Médiafilm) qui, chaque année, recensaient et critiquaient (d'un point de vue chrétien, moral et... "artistique") tous les films présentés dans la Belle Province. C'est Médiafilm qui attribue les cotes artistiques (de 1 à 7, 1 = chef-d'oeuvre, 7 = minable... cotes souvent discutables) qu'on trouve dans les horaires télé québécois.
Attention, attachez vos ceintures, voici la liste des SÉRIES B QUÉBÉCOISES, 1965-1990. Autant de visionnements qui peuvent s'avérer toxiques !
1965 :
CAÏN, de Pierre Patry
CARNAVAL EN CHUTE LIBRE.
PAS DE VACANCES POUR LES IDOLES (film rock'n'roll)
1966 :
LA DOUZIÈME HEURE Critique d'époque de Médiafilm : "Il est difficile de voir un plus piètre film que cette production canadienne. Le scénario se développe au mépris de toute logique, le montage est déficient de bout en bout et la photographie n'est jamais au point. On a l'impression d'une affaire réalisée à la va-vite par un médiocre amateur. L'interprétation va du cabotinage éhonté à l'inexpérience manifeste."
ILS SONT NUS
DES PAS SUR LA NEIGE (polar)
LES PLANS MYSTÉRIEUX (film d'aventures) Extrait de la critique d'époque de Médiafilm : "Farci d'invraisemblances et de naïvetés, le scénario semble être l'oeuvre d'un enfant de dix ans."
MANETTE (mélodrame)
1968 :
PLAYGIRL KILLER
1969 :
LE GRAND ROCK (polar campagnard assez pittoresque)
VALÉRIE
DANGER POUR LA SOCIÉTÉ
1970 :
L'AMOUR HUMAIN
DEUX FEMMES EN OR
L'INITIATION
Q-BEC MY LOVE (critique de Médiafilm, à l’époque : « Exhibitionnisme grossier, expressions vulgaires et scènes outrageantes pour la religion font partie de cet ensemble caricatural et de mauvais goût »)
VIENS, MON AMOUR
VIVE LA FRANCE (comédie, selon Médiafilm : "Farce navrante où l'humour vole en rase-mottes [...]. L'intrigue avance par à-coups pour finir dans une confusion totale."
APRÈS-SKI (comédie leste avec René Angélil, Daniel Pilon, etc.)
LES CHATS BOTTÉS (comédie psychotronique avec Donald Pilon)
FINALEMENT...
LE MARTIN DE NOËL (Marcel Sabourin en extra-terrestre)LES MAUDITS SAUVAGES
PILE OU FACE
SEPT FOIS... PAR JOUR (le titre, à lui seul, est tout un programme)
STOP (Film de J. Beaudin produit par l’ONF. Selon Médiafilm, « l’Office National du Film, organisme d’état, apporte sa petite contribution à la vague de sexploitation. Le héros de Stop se laisse aller à l’occasion à des rêveries d’un érotisme agressif ». On mentionne aussi « une scène irrévérencieuse d’un mauvais goût consommé » !
TIENS-TOI BIEN APRÈS LES OREILLES À PAPA
L'APPARITION. Selon Médiafilm, une « lourde comédie » qui comporte « de nombreux éléments vulgaires ». Avec René Angélil, Pierre Labelle et Claire Pimparé.
LE DIABLE EST PARMI NOUSUN ENFANT COMME LES AUTRES
IXE-13
LE P'TIT VIENT VITE
1973 :
AH ! SI MON MOINE VOULAIT (Film à skteches avec Gilles Latulippe, Marcel Sabourin et Louise Turcot. Selon Médiafilm, « l’imbécillité s’allie à la grossièreté dans une suite de récits égrillards […]. Le dialogue est d’une indigence manifeste ».
J'AI MON VOYAGE
LA LUNULE (voir mon avis sur ce film ici)
LA MAÎTRESSE (mélodrame)
MOURIR POUR VIVRE (mélodrame coté 7) Résumé de Médiafilm : « Un jeune metteur en scène se cherche des appuis financiers pour réaliser un film. Il finit par trouver deux associés dont l’un est un playboy et l’autre, un homosexuel ».
ON N'ENGRAISSE PAS LES COCHONS À L'EAU CLAIRE (polar)
SENSATIONS (mélodrame coté 7 : Baptiste Bayard s’évade de prison en prend une femme en otage. Critique d’époque : « Desroches [le comédien principal] grimace et gesticule de façon grotesque ».
TU BRÛLES, TU BRÛLES (comédie : un pompier refuse d’aller éteindre un incendie)
Y A TOUJOURS MOYEN DE MOYENNER
1974 :
LES DEUX PIEDS DANS LA MÊME BOTTINE (comédie burlesque avec Louise Portal et Gérard Vermette)
LA GAMMICK (polar)LA POMME, LA QUEUE ET LES PÉPINS (la comédie québécoise la plus redoutable que j'aie pu voir)
RENÉ SIMARD AU JAPON
Y A PAS D'MAL À SE FAIRE DU BIEN (comédie de mœurs avec Andrée Cousineau, réalisée par le Français Claude Mulot) Extrait de la critique de Médiafilm : « Fallait-il donc qu’un réalisateur et des comédiens français se dérangent pour venir tourner au Québec de telles insignifiances ? […] Cette piètre comédie abonde en plates plaisanteries égrillardes ».
1975 :
AHÔ... AU COEUR DU MONDE PRIMITIF (documentaire sensationnaliste)
LES AVENTURES D'UNE JEUNE VEUVE
FRISSONS (Cronenberg)
GINA
MUSTANG (western québécois étonnant avec Willie Lamothe)
UNE NUIT EN AMÉRIQUE
POUSSE MAIS POUSSE ÉGAL (Gilles Latulippe dans le rôle d’un maladroit notoire)
TOUT FEU, TOUT FEMME (Jean Lapointe en pompier obsédé)
1976 :
CINDY LA JUSTICIÈRE
JOS CARBONE (film post-apocalyptique québécois !)
BRRR... (Film à sketches sur des chats maléfiques)
UNE ÉTRANGE PETITE FILLE
ILSA, TIGRESSE DE SIBÉRIE
RAGE (Cronenberg)
1978 :
L'ANGE GARDIEN
1980 :
LES CHIENS CHAUDS
LES JEUNES QUÉBÉCOISES
1981 :
LA REVANCHE DE MME BEAUCHAMP (fantastique coté 6)
1982 :
DEUX SUPER-DINGUES (coté 7) comédie. Critique d'époque de Médiafilm : "Après un premier essai d'une nullité affligeante, Les Jeunes Québécoises, Castravelli [le réalisateur] se montre en progrès vers l'insignifiance galopante. Mal bâti, mal photographié, mal joué, son deuxième film a tout du navet intégral. Il est difficile d'imaginer plus mauvais comédiens que les minables histrions qui tiennent le devant de la scène."
SCANDALE (comédie douteuse)
LES YEUX ROUGES (polar)
1983 :
UNE SENTENCE DIABOLIQUE avec Nanette Workman alias EVIL JUDGEMENT, polar coté 7
1984 :
FRANKENSTEIN 2000 (The Vindicator)
1985 :
ADRAMÉLECH, de Pierre Grégoire, drame fantastique
JUNIOR, film d'horreur coté 7
1986 :
LA GUÊPE, de Gilles Carle, polar douteux avec Chloé Ste-Marie
POUVOIR INTIME, polar d'Yves Simoneau
DOUBLE IMPASSE (alias KEEPING TRACK) polar avec Donald Pilon
MEATBALLS 3
1988 :
THE KISS, un film "à l'américaine" tourné à Montréal
1990 :
CARGO, film fantastique
MONTRÉAL INTERDIT, un "mondo movie" (documentaire sensationnaliste) coté 7 !
VENT DE FOLIE, polar de Michel Laflamme... coté 7 !
POUVOIR OBSCUR, alias CURSED, film fantastique de Mychel Arsenault... coté 7, tourné en anglais.
9 commentaires:
Excellente recension. J'en ai finalement vu peu, beaucoup de films adultes lorsque je n'avait pas l'âge à leur sortie, plusieurs par manque d'intérêt, mais évidemment tous les Cronenberg et quelques classiques incontournables, comme les Deux Femmes en Or !
Y a pas non plus beaucoup de sites qui recensent la production nationale et l'iconographie est souvent difficile à trouver, malheureusement...
En effet, l'iconographie a demandé quelques recherches. L'idéal serait encore de traquer les pavés de presse dans les journaux de l'époque, mais je n'ai pas eu le temps de le faire.
Fait amusant, des extraits du Cronenberg se retrouvent dans l'adaptation cinématographique de LA PEAU BLANCHE, d'après le roman de Joël Champetier (il s'agit de l'un des films que le co-loc. regarde à la télévision).
Wow là t'es dans mes cordes. Cinéma Québ cheapo. Pleins de trucs que j'adorerais voir sur ta liste... si c'était disponible dans quelquonque format (Ti-Ken et les plans mystérieux... De quessé ?).
Par contre je trouve que certains des films sur ta liste sont "respectables"
-Gina (Arcand)
-La Gammick (Godbout)
Parlant de la Gammick, j'ai abondamment pigé plusieurs dialogues de ce films pour faire mon 2ième mix "Un farfadet en colère" le tout mélangé à du Funk de type Blaxploitation, Garage etc.c'Est disponible sur mon site.
Mais où trace t'on la ligne entre un film "plate" et film "série-B" ? Est-ce que par "série-B" tu veux dire "film de genre" ?
Salut, Simon !
C'est sûr qu'une telle liste a toujours une part de subjectivité. J'ai retenu des films qui me semblaient avoir un esprit un peu "destroy", rebelle, anticonformiste, décalé, étonnant... La plupart d'entre eux appartiennent à un genre "pop" : le polar, la comédie burlesque, le fantastique, etc.
La série B, c'est simplement un film tourné rapidement et avec un budget limité. Cette notion est sans doute relative : les films de la nouvelle vague français des années 60 étaient, dans les faits, des séries B, mais ils appartiennent plutôt au cinéma de répertoire quant à leur facture et à leur manière d'envisager le cinéma. Certains films "B" sont toutefois à la limite de l'expérimental...
Le terme "série B" n'est donc pas dépréciatif ; il y a d'excellentes séries B comme il y a de très mauvais films à gros budget.
GINA de Denys Arcand, même si c'est l'oeuvre d'un cinéaste réputé, est quand même un film assez politiquement incorrect qui, par plusieurs aspects (scènes, traitement, genre du film ,etc.), rejoint le cinéma d'exploitation. Idem pour LA GAMMICK.
Je sais qu'il existe en ce moment un projet de restauration de plusieurs films québécois rares, le projet "Éléphant". Affaire à suivre !
Comme dirait notre ami Michel LEMOINE : "Formidable" !
Voilà une liste très informative pour un petit français qui n'imaginait pas une telle profusion d'œuvres psychotroniques québécoises... Il y aurait vraiment un livre à écrire sur le sujet...
Un commentaire comme "Marcel SABOURIN en extra-terrestre" me laisse songeur... Je ne connais pas ce Marcel SABOURIN, mais rien que le nom... Si tu m'y autorises, je reproduirais bien certaines affiches sur BI-QUEEN.
Bonne année à toi !
Bien sûr, cher aminche, tu peux utiliser ces images !
Marcel Sabourin est un comédien québécois bien connu qui a joué dans une multitude de films québécois... Le voir dans des nanars psychotroniques est donc un plaisir coupable.
Je me demandais par ailleurs si certains échanges de films ou de documents t'intéresseraient. Si oui, je vais t'envoyer un courriel pour voir cela avec toi.
Salut Frédérick et félicitations pour cette liste plus qu'instructive. Une vraie playlist pour moi!Et bravo! Je ne vois pas quel est le film que je pourrais ajouter à ta liste en dehors de "Born for Hell" de Denis Héroux (1976), formidable film d'horreur quétaine basé sur un fait divers.
Si toi ou tes lecteurs veulent plus d'infos sur le cinéma québécois, n'hésitez pas à venir sur mon blog qui en est rempli. J'ai une base de données quasi complète...
Bon blogging à toi et bonne chance pour ton livre!
Merci pour ce sympathique commentaire. Ton blogue est fort intéressant et bien conçu, bravo !
Au sujet de NÉ POUR L'ENFER, j'avais hésité avant de l'exclure de la liste : c'est une co-production Canada/Allemagne/Italie/France, ce qui me paraissait déjà diluer l'identité québécoise du film, malgré la nationalité du réalisateur et la présence de Québécois (notamment Carole Laure) au générique.
Le fait que l'action du film se déroule à Belfast et qu'il s'inspire d'un fait divers américain (survenu à Chicago) m'a finalement convaincu de ne pas le faire figurer dans cette liste où, en plus du côté "série B", je recherche aussi un côté spécifiquement québécois, cet aspect qui rend ces films encore plus singuliers.
Merci encore pour ta visite ici !
Ça fait saliver tout ça. On en a une bonne partie de ces joyaux, mais il faut trouver les autres un de ces jours... Pour ce qui est NÉ POUR L'ENFER, je n'ai toujours pas vu, mais c'est certain que ça n'est pas traité aussi sérieusement que dans le VIOLATED ANGELS de Wakamatsu !
Les commentaires sur la DOUZIÈME HEURE et LES PLANS MYSTÉRIEUX donnent envie !
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