01 septembre 2010

Lectures post-apocalyptiques

Chaque année, la rentrée des classes au Cégep (elle a eu lieu la semaine dernière) marque pour moi la fin l'été. L'été fut cependant bien rempli, entre l'écriture, un voyage sur la côte Nord avec Ariane, le festival Fantasia, les rencontres d'amis, les lectures, le cinéma et bien d'autres choses encore.

Une partie de mes lectures estivales fut consacrée au genre "post-apocalyptique", que j'avais curieusement envie d'explorer. Les auteurs qui s'y adonnent décrivent souvent la vie mouvementée de personnages qui, après un conflit mondial, se retrouvent dans un monde futuriste et dévasté. Retourné à un état plus ou moins sauvage, cet univers se caractérise par ses multiples dangers : groupes armés, zones radioactives, formes de vie dangereuses, etc. Ce sous-genre appartenant à la grande famille de la science-fiction connut un certain succès cinématographique au début des années 1980. Le représentant le plus célèbre fut probablement la trilogie Mad Max... D'autres films avaient toutefois abordé le thème auparavant, entre autres A Boy and His Dog. Puisqu'il n'existe sans doute pas de genre ni de sous-genre mineur (en termes qualitatifs), le "post-nuke", comme on l'appelle également, a donné lieu à des oeuvres réussies ou moins acoomplies, selon l'inspiration, le travail et le talent de chacun. Les titres ne manquent parfois pas d'un panache amusant : Les Exterminateurs de l'an 3000, par exemple. Lorsqu'on se trouve dans un état d'esprit réceptif, ce sous-genre peut donner lieu à des lectures ou à des visionnements plutôt agréables. Cet été, j'ai ainsi découvert L'autoroute sauvage, de Julia Verlanger, réédité récemment par Bragelonne (qui publiera l'oeuvre intégrale de cette intéressante romancière). Servi par une écriture autodiégétique (1e personne du singulier) nerveuse, ce récit raconte l'errance, puis la mission d'un survivant solitaire qui doit se rendre dans un Paris futuriste afin d'en ramener une formule précieuse. Entre fanatiques religieux, formes de vie mutantes et péripéties diverses, les événements se succèdent sans temps morts et sont mis en valeur par un humour bien placé et d'intéressantes nuances. On peut lire ce livre au premier degré comme un roman d'aventures dans un monde pittoresque ou en faire une lecture plus approfondie qui permettra de déceler certains sous-textes, qui s'intéressent notamment à l'organisation sociale, à ses contradictions et à ses stratégies pour maintenir l'ordre établi.Plus ludique, mais plus délirante, aussi, la série Jag de Zeb Chillicothe (en fait : Christian Mantey) fut co-écrite, au fil des numéros, entre autres par Joël Houssin ou Serge Brussolo. L'épisode que j'ai lu, Les hommes-tritons, raconte une hallucinante histoire. Notre héros, Jag, être fruste, homme d'action avant tout, devient esclave dans une mine, qui est en fait une météorite géante enfouie dans les sables du désert...! Jag et son ami Cavendish doivent plonger dans un lac souterrain pour en ramener des perles, non sans croiser des poissons explosifs. Afin de résister aux eaux toxiques de cet étrange lac, les deux hommes, à l'instar de leurs collègues, se font greffer de singuliers poissons-parasites qui font office de filtres... Peu à peu, ces parasites protecteurs provoquent chez eux une torpeur dont il devient de plus en plus difficile de se libérer. Si le web contient plusieurs critiques négatives de ce roman, il m'a plu par son climat très curieux et par son écriture baroque, fusion de Brussolo et de Mantey, qui privilégie un style un peu désuet, mais parfois très cru. Il faut prendre cet épisode de la série des Jag pour ce qu'il est : un pulp délirant où se succèdent les tableaux bizarres et oniriques. Mantey avait auparavant tenté une série du style, au Fleuve Noir, sous l'intitulé Chroniques du retour sauvage. Attention, page couverture toxique :Enfin, j'ai lu le premier roman de la série Le Survivant. Particularité : la majeure partie du livre est en fait un récit pré-apocalyptique, visant à établir dans quelles circonstances le conflit nucléaire a eu lieu. On est ici dans le pur "produit" années 80 (la guerre nucléaire est provoquée par un conflit URSS/États-Unis), qui décrit des scènes d'action qu'on visualise presque à la façon d'une série B d'époque. Le héros, Rourke, est un spécialiste de la survie en conditions extrêmes... Le roman est bâti d'une manière assez complexe (compte tenu de son statut de pulp), alternant une multitude de points de vue, dont certains sont ceux de personnages qui ne font qu'une brève apparition. L'écriture se veut ici essentiellement dépouillée, sans fioritures. Bien entendu, l'apocalypse annoncée se produit finalement, et les derniers chapitres de l'ouvrage voient Rourke combattre diverses menaces classiques : motards dangereux (les Hell's Riders), chiens sauvages, lieux radioactifs... Les épisodes subséquents développeront plus à fond ces péripéties, sans doute.Cela m'a donné envie de revoir quelques films du genre, ce qui a déjà commencé avec l'inénarrable Les Guerriers du Bronx, film italien d'un grand pittoresque. Avec son climat de chaleur étouffante et son plaisir de la narration pure, le post-nuke est, en tout cas, très approprié pour les lectures estivales.

Enfin, lors de mon voyage sur la Côte Nord, pendant qu'Ariane lisait La Route de Cormac Mc Carthy (autre roman post-apocalyptique), je parcourais en esprit un autre chemin, celui de L'Autoroute du massacre (rien de moins !) de Joël Houssin, deuxième roman paru dans la collection Gore du Fleuve Noir, dont j'ai déjà parlé ici. Il ne s'agit cette fois pas d'un post-nuke, car il faut quand même varier les plaisirs. Très propice à une lecture de vacances en raison de son décor, ce roman raconte comment un embouteillage monstre (pendant les vacances d'été) force un couple et de jeunes voyageurs à s'arrêter pour la nuit en bordure de l'autoroute. Dans la forêt environnante, deux personnages bizarres, l'Aîné et le Cadet (plus ou moins monstres !), sont en chasse, aiguillonnés par une faim dévorante ! De voir toutes ces proies humaines les affole. Quel repas en perspective... ! Non sans humour, et avec un sens certain de la phrase incisive, Houssin parvient à présenter bon nombre de personnages et de points de vue narratifs. Il devient impossible de s'arracher à cette lecture...

Une amusante réflexion de l'un des "monstres" de service :

La bêtise des choses vivantes ne gâtait cependant pas la saveur de leur viande.

Au début du roman, le Cadet, prédateur naïf, se cache dans un pin pour observer ses victimes potentielles. Le pauvre monstre a si faim qu'il "se [met] à trembler, faisant choir une bruine d'épines. Ce n'était pas la peur qui le faisait frémir [...]. Il priait pour que son frère lui en laisse un peu. Juste un petit peu..."

N'ayant jamais lu de Houssin, j'ai découvert un auteur en pleine possession de ses moyens. Après l'avoir lu, elle aussi, Ariane me confiait qu'elle trouvait le titre (et le paratexte) réducteur, compte tenu des qualités du roman. Coincé dans son format de 155 pages et obligé de respecter le cahier des charges, Houssin se montre beaucoup plus généreux qu'on pourrait le croire en jugeant le livre par son illustration de couverture ou son quatrième... Il semble que le pinacle de la collection, l'ouvrage le plus dérangeant qui y parut, soit le second et dernier "Houssin" qui y fut publié, L'Écho des suppliciés, dont je redoute presque la lecture tant on dit que l'ouvrage est horrifiant ! Attention, illustration toxique (bis) :
Bonne rentrée à tous !