16 juin 2008

L'abomination de la semaine

Dans la biographie de Siouxsie and the Banshees, on trouve un passage assez amusant où sont cités les propos du bassiste du groupe, Steve Severin (Severin, en référence au Velvet Underground, bien sûr, mais, par le recours à une double intertextualité, au roman - un peu minable, il faut bien le dire - de Sacher-Masoch, La Vénus en fourrure qui donna son titre à une superbe chanson du Velvet...). Severin raconte que, dans le studio où son groupe commençait l'enregistrement du premier album (The Scream, 1978), "there were dozens of reels of two-inch tape stacked by the console window. They were recordings of Yes jam sessions that probably ended up as a quadruple album. My great regret is that I didn't have the foresight to run a magnet down them and erase everything. I could have saved the world a lot of pain" (p. 69). Il va sans dire que ce passage m'a fait beaucoup rire, car, évidemment, les Banshees sont l'antithèse du groupe progressif britannique YES, dont j'ai déjà eu des albums !

Aujourd'hui, en 2008, je considère que la musique de ce groupe est particulièrement hideuse ! Il faut dire que, même à l'époque où j'avais trois albums de Yes à la maison (comment ai-je pu réussir à dormir ?), je ne les aimais pas. On (entendre : les musiciens avec qui je travaillais occasionnellement) m'avait répété que c'étaient de super-virtuoses, un groupe d'une densité incroyable, etc. En définitive, leur musicalité se bornait surtout à jouer des solos en même temps (l'un des buts : mettre le plus de notes possibles à la plus grande vitesse possible pour épater la galerie). Le claviériste Rick Wakeman reprenait des motifs de musique classique qu'il signait de son nom. Un public béat admirait donc son... talent... alors qu'il s'agissait de plagiat maladroit. On peut dire la même chose du claviériste KEITH EMERSON, de Emerson, Lake and Palmer, qui piqua à Bartok (compositeur classique) son Allegro Barbaro, le rebaptisant The Barbarian sur le premier album de son groupe... et le signant de son nom, sans faire nulle part mention du compositeur original. Bravo, champion !
À l'époque, j'avais déjà l'impression que les "mélodies" de Yes étaient plutôt laides, que tout cela sentait l'effort, que c'était confus et d'une grande platitude. J'avais même l'album double Tales from Topographic Oceans, un disque soporifique où les membres du groupe excellaient dans le domaine de la contre-performance. En définitive, on était bien éloigné du danger, de l'intensité et de l'urgence qui sont souvent la clé du meilleur rock. Trop de calcul, trop de cérébralité, trop de conceptualisation, trop de tape-à-l'oeil. Peut-on être ému en écoutant un disque de Yes ? (On peut, à la rigueur, ressentir un sentiment d'horreur, mais ce n'est pas ce que je veux évoquer ici).

C'est avec grand soulagement que je pus revendre ces CD à je ne sais plus quel fan du genre. Qui sait s'il est parvenu à écouter ces albums à quelques reprises ?
Constatant l'inexplicable bonne réputation du groupe auprès de certains fans de classic-rock, je me suis même demandé si j'étais seul dans mon camp, jusqu'à ce que paraisse un article dans le Rock & Folk d'août 2004. Le papier, signé Nicolas Ungemuth, s'intitulait La Fête Yes. Il s'agissait d'un compte-rendu d'un spectacle donné au Zénith. Je craignais un éloge en règle du groupe, mais qu'allait-on pouvoir dire ? Que les musiciens jouaient vite...? Oui, mais à part ça ? Ungemuth raconte qu'il entend d'abord, en arrivant près du Zénith, un enfant de dix ans avec son oncle :

"Tu sais, j'ai jamais vu de concert..." Pauvre gosse... Même pas dix ans qu'on le traîne à un concert de Yes. Après, on s'étonnera, on dira qu'il est lent à l'école, qu'il a du vague à l'âme [...]."

Ungemuth, qui a deux billets, essaie en vain de donner son second billet sans trouver preneur ! Il entre quand même dans la salle :

"Là, c'est le choc ! C'est vide... Parsemé de gars [...]. D'autres sont carrément en famille. Le père sans cou, la mère sans cou et les nains sans cous... Un individu arbore un T-shirt Dieu soit loué... Je suis perplexe. Un tour au bar révèle une caractéristique rarement étudiée du Yesman. Le Yesman ne boit pas des bières [...], il mange des sandwiches ! Avec une nette préférence pour les thon mayonnaise. Des thon mayonnaise partent par dizaines, les Yesmen sont tout contents avec leurs sachets pleins de mie... L'un d'eux a un T-shirt Quadrophenia, ce qui me conforte dans ma prime impression : cet album des Who a toujours été ignoble [...]. Jamais vu le Zénith aussi vide [...]­. On peut aller toucher la scène en dix secondes, on peut se promener, on pourrait faire une partie d'échecs ! [...]

Soudain, une symphonie quelconque réveille cette masse et le voile se lève... Mince ! Quel décor ! Des anémones de mer en nylon jaune toutes gonflées sont là comme des gros champignons flottants tandis qu'une sorte de moule géante se lève et se transforme en crabe. Ces Yes [...] arrivent, terrifiants. Le guitariste [...] ressemble au valet bossu de Dracula, celui qui ouvre la porte en courbant l'échine. Le clavier est un spectre blond coiffé à la duguesclin et le chanteur a l'air directement sorti du groupe Toto avec un beau brushing et des mèches impeccables [...]. Mais c'est le bassiste qui est le plus remarquable. Une sorte de vilain géant avec une phénoménale mullet (coupe Longueuil). On dirait un ancien footballeur yougoslave [...]. Toute cette fine équipe salue la salle presque vide et attaque fissa un morceau ignoble. C'est parti ! À côté de moi, un aimable quinquagénaire se lance immédiatement dans un solo de guitare invisible tandis que sa femme au fort tonnage l'observe avec un sourire attendri façon vas-y chéri, ce soir c'est ta fête. Tout autour, ils sont plein à manger des sandwiches thon mayonnaise, les yeux écarquillés comme des lémuriens malgaches. Tout d'un coup, les anémones gonflantes se rapprochent de la batterie et font mine d'agiter des baguettes en rythme. Le public est médusé, n'en revient pas: on dirait des pygmées découvrant le cinéma".

Le reste de l'article est à l'avenant ! De quoi dédier Ferme ta gueule à Jon Anderson !

5 commentaires:

losfeld a dit...

Ah ah excellent! J'avoue que Yes me passe au (haut) dessus de la tête... pourtant j'ai un ami (caché dans mes liens) qui reste un fan de Yes et qui a pourtant des goûts musicaux plus que respectables... et qui n'est pas du genre à se balader dans les concerts avec un "sachet plein de mie"... Bref, No pour moi, yes pour d'autres, maybe pour quelques normands.

Anonyme a dit...

J'aimais bien YES à une certaine époque, puis je les ai vus en concert au Colisée de Québec début des années 80. Une série de solos en ligne, très peu de contact avec la foule, bref, j'ai gardé mes souvenirs de 33 tours mais je n'ai plus jamais eu envie de les voir sur scène.

Quoique les mélomanes savaient que Wakeman ou Emerson adaptaient des pièces classiques, ce n'était pas un secret, loin de là.

N'empêche, l'anecdote de Siouxie fait bien rire...

Frédérick a dit...

En effet, mon billet se plaçait à l'enseigne de l'humour. J'ai même hésité à le mettre en ligne après l'avoir écrit (je ne voulais pas peiner quelque fan de YES qui aurait surgi ici !)... Mais je me suis dit qu'un peu d'humour ne dérangerait pas.

Faut dire que le concert que l'ami Mario évoque ne donne pas trop envie !

En effet, les mélomanes reconnaissaient probablement les "emprunts" d'Emerson et Wakeman. Mon problème est d'ordre éthique : il aurait quand même fallu les signaler officiellement dans les crédits de composition !

Anonyme a dit...

Ton article m'a bien fait rire, Frédérick, même si je suis un fan de Yes, un fan sans passion dans le sens que j'ai même pas tous leurs disques. Il y a des choses qui ont vieilli, ou qui semblent un peu prétentieuses à leur manière, mais je ne peux pas faire autrement qu'aimer l'ambitieux _Tales from Topographic Ocean_ en dépit de ses longueurs. Je l'ai écouté, au complet, *au moins* 200 fois. C'est peut-être l'appellation "musique rock" qui pprte à confusion: l'inspiration musicale du groupe est assez éloignée du rock. Pareil avec Emerson Lake & Palmer : il y a des quétaineries, mais franchement, il y a des enregistrements qui sonnent super encore aujourd'hui.

Joël Champetier

Frédérick a dit...

Ahaha ! Je le savais ! J'étais sûr qu'un ami fan de YES surgirait ici et que je serais embarrassé d'avoir mis ce texte en ligne (sourires).

Je suis content que ça t'ait amusé. Sans blagues, je craignais de fâcher quelqu'un... Moi-même, d'ailleurs, je suis (heureusement) capable de sourire quand je vois un article qui dénonce les travers de certains musiciens ou artistes que j'aime... car qui n'en a pas ?

200 fois pour TALES FROM TOPOGRAPHIC OCEANS ! Ça force le respect !

Pour ELP, j'aimais bien deux albums, pendant ma phrase "progressive" (années 90) : TARKUS et BRAIN SALAD SURGERY, avec la fameuse pochette de Giger (nom que certains Québécois prononçaient "Giguère", comme notre fameux illustrateur et fan # 1 de Santo et Godzilla).

Merci de ton gentil message !

Frédérick