03 juin 2015

Hommage à Joël Champetier

Au cours des derniers jours, les hommages à Joël Champetier se sont multipliés sur les blogues, les réseaux sociaux et dans les fils de presse. Et pour cause : ils révèlent, si besoin était, à quel point, au-delà de l'auteur polyvalent qu'il a pu être (nouvelliste, romancier, scénariste, rédacteur en chef, critique...), Joël aura compté pour ses proches, pour ses pairs et pour plusieurs générations d'auteurs émergents qui se sont peu à peu professionnalisés entre autres grâce à lui. D'une constance exemplaire, il aura été incroyablement persévérant, si l'on songe au travail colossal que représentaient ses fonctions dans la revue Solaris, auxquelles s'ajoutaient son métier d'écrivain et les activités qui s'y rattachaient, sa vie personnelle, riche de ses nombreuses amitiés et de sa complicité avec sa compagne, Valérie, de même que son implication active dans le milieu des littératures de l'imaginaire québécois.

Chaque discussion avec Joël me permettait de mesurer son humilité et son humanité - à titre d'exemple, lorsqu'il me parlait des lettres de refus qu'il écrivait aux nombreux aspirants-auteurs qui souhaitaient publier une nouvelle dans Solaris. Joël consacrait beaucoup de temps à rédiger ces réponses personnalisées, dans lesquelles il souhaitait demeurer concret, encourageant et constructif. Un mandat exigeant, qu'il avait choisi de s'imposer là où la plupart se seraient contentés d'envoyer une lettre-type sans plus d'arrières-pensées.

Je me rappelle l'avoir reconduit chez lui, l'automne dernier, après un séjour à l'hôpital. Il était très fatigué, et des maux de coeur lui rendaient le parcours en voiture difficile. On sait à quel point la maladie peut centrer une personne sur elle-même, tant elle gruge tout et ramène souvent un invidu à ses seuls maux. Mais ce n'était pas le cas de Joël : pendant le trajet, il s'excusait parce que sa conversation n'était pas aussi soutenue qu'il l'aurait voulu ! Plus tard, il me demandait s'il m'avait répondu à propos d'une nouvelle que je lui avais envoyée voilà quelques mois. Je lui avais dit que ça pouvait attendre, que rien ne pressait ! Je m'étonnais que, dans un tel contexte, il puisse penser à mes histoires alors que tout aurait dû le faire songer avant tout à ses problèmes.

Il s'était alors excusé de ce retard. Je lui avais répété que rien ne pressait. Malgré cela, une ou deux semaines plus tard, il me donnait son verdict à propos de ce texte. En y repensant aujourd'hui, je demeure encore surpris de cette générosité, qui en dit long sur l'être humain qu'il fut. Il prenait tellement ce rôle à coeur que nous l'avions vu, Ariane et moi, lire et commenter des textes de jeunes auteurs sur son lit d'hôpital, à l'aide de son ordinateur portable. Nous lui recommandions de se reposer, et il nous répondait, non sans humour, que ce travail le divertissait !

Cette générosité, j'ai eu l'occasion de la voir se manifester sous des formes aussi nombreuses que différentes au fil des années. Lors de la fête annuelle qu'il organisait chez lui à la fin de l'été (et qui demandait beaucoup de soin et du temps), il était non seulement l'hôte, mais aussi le cuisinier désigné, toujours souriant, sachant trouver un bon mot pour chaque invité, avec simplicité, sans complications ni protocole.

Pour aider un auteur, il avait fait une direction littéraire en direct pendant l'une de ses séances de signature, ce dont j'avais été le témoin. Il avait aussi accepté de rencontrer des étudiants d'Arts et Lettres à qui j'enseignais, partageant son expérience et prolongeant l'activité devant l'intérêt que manifestait son public, modeste malgré ses accomplissements et malgré la gêne qu'il me confessait ressentir quand il devait s'adresser à un vaste auditoire - gêne impossible à détecter, d'ailleurs.
Il y aurait encore un grand nombre d'anecdotes du genre à raconter... En tant que romancier, il m'avait tenu éveillé pendant presque toute une nuit alors que, en plein décalage horaire, de surcroît, j'avais commencé à lire son étonnant thriller fantastique L'aile du papillon, l'une de ses oeuvres les plus inventives et surprenantes. J'avais naïvement cru pouvoir m'en tenir à un chapitre !

Lire ses livres et faire perdurer son imaginaire, les faire découvrir à nos proches, voilà sans doute l'un des plus beaux hommages qu'on puisse lui rendre. Hommage qui se fait avec plaisir, tant Joël était un narrateur de talent.

J'aime croire qu'il arpente maintenant son imaginaire, et qu'il garde ce sourire qui était sien, délivré des peines et des souffrances. J'aime aussi croire ce qu'affirme cette chanson célèbre :

We'll meet again,
Don't know where, don't know when,
But I know we'll meet again, some sunny day...

4 commentaires:

Anonyme a dit...

Merci pour ce beau témoignage, Frédérick, qui montre bien combien grandes étaient lrs qualités de Joël.
Jean Pettigrew

Frédérick a dit...

Et merci à toi, Jean, d'avoir pris le temps de laisser un commentaire ici et pour l'hommage senti que tu as rendu à Joël dimanche dernier.

christine a dit...

Frédérick, je reste sans voix à la lecture de ce merveilleux témoignage. Joël devait être un être exceptionnel, je l'ai fortement ressenti en le découvrant à travers "La mémoire du lac". Beaucoup de sensibilité, de finesse, d'humanité. C'est ce qui fait toute sa grandeur dans un style qui peut rebouter. je vais poursuivre ma découverte et continuer à le faire vivre à travers ma compréhension et ce qu'il pourra apporter à mon coeur, mon esprit. Car vous, auteurs, vous vous livrez de façon plus ou moins visible, et quand vous êtes honnêtes et en accord avec votre imaginaire, cela se ressent, et vous revivez à travers nous lecteurs, dans une autre dimension, dans des interprétations propres à chacun de nous, c'est ce qui fait la complexité et la beauté des relations humaines. Mon émotion est intense car elle me fait revivre des instants d'une forte intensité : je pense à mon papa qui était extrêmement lumineux, humble, et que j'ai vraiment découvert lors des dernières années de sa vie, alors que son corps disparaissait absorbé par la maladie. Reste l'impalpable, l'inoubliable, l'éternité. Nous devons ne jamais oublier ces êtres d'excellence (où c'est le coeur qui prime)qui nous enseignent la justesse, l'amour, le merveilleux. A nous de transmettre ...

Frédérick a dit...

Merci, Christine, pour la générosité de votre commentaire et pour avoir pris le temps de partager vos impressions.

Je suis heureux d'apprendre que vous avez apprécié "La mémoire du lac". Les trois caractéristiques du roman que vous énumérez correspondaient à des qualités que Joël possédait.

Merci, aussi, d'avoir partagé vos impressions quant aux années vécues avec votre père. Ainsi que vous l'écrivez, il nous appartient d'être des passeurs, car le pouvoir nous en est donné. En évoquant ces moments, vous faites revivre votre père. Dans sa pièce "L'oiseau bleu", Maurice Maeterlinck représentait de façon symbolique notre rapport au deuil. Il disait que chaque fois que nous pensons à une personne décédée, nous allons en quelque sorte la visiter "au pays du souvenir"...

Prenez soin de vous et passez un bel été 2015.