03 novembre 2009

Le diable souffle sur Hurle-Vent

Voilà longtemps que ce livre m’intriguait. La force d’évocation du titre, déjà, était pour moi un incitatif notable. Et puis, il y avait une forte attirance dans la promesse de retrouver un univers de gothisme anglais empreint de romantisme, celle de l’appel d’une terre battue par la tempête que, par ailleurs, la plupart des illustrations de pages couvertures des différentes éditions ont bien rendue. Mon choix s'est arrêté sur une édition de poche parue en 1972, qui met en valeur une traduction écrite dans une langue un peu passée - idéale, au fond, pour bien rendre l’esthétique du livre… En témoignent des phrases comme : « Cette négligence ne lui messied pas » ou « Il y avait une trop grande disproportion d’âge entre eux pour qu’ils pussent avec vraisemblance être mari et femme ». Certaines traductions de classiques, par volonté de rendre l’œuvre plus accessible, la simplifient. On s’éloigne alors forcément du climat, de l’ambiance du texte d’origine, qui, lui, ne change pas avec le temps.Le plus étrange, dans le texte que vous lisez en ce moment, c’est sans doute que j’ai lu seulement… trente pages du livre en question, pour le moment ! Comme je n’en suis pas à une excentricité près, je suppose que cela n’a guère d’importance. Je puis déjà dire, de toute manière, que le livre remplit ses promesses de romantisme noir et d’atmosphère tempétueuse. Les références au diable sont par ailleurs incessantes, que ce soit par des expressions (« Que diable ! »), des comparaisons (« Le troupeau de pourceaux possédés du démon ne pouvait avoir en lui de pires esprits que n’en recèlent vos animaux » ; « - Mon aimable épouse ! interrompit-il avec un ricanement presque diabolique ») ou de singuliers commentaires (« N’avez-vous pas peur d’être emporté vous-même quand vous prononcez le nom du diable? »).

Ce qui m’étonne le plus, c’est la présence d’un humour très singulier, né des réflexions du narrateur. En constatant le laisser-aller des lieux où il rencontre son propriétaire, le narrateur, Lockwood, se dit : « Les bestiaux sont sans doute seuls à tailler les haies », ce qui crée, évidemment, une image carrollesque dans mon esprit. À propos de chiens qui tournent autour de lui alors qu’il est laissé seul, Lockwood remarque qu’il est « peu désireux de prendre contact avec leurs crocs ». La suite est singulière : « Pensant qu’ils ne comprendraient sans doute pas des insultes tacites, je me suis malheureusement permis de cligner de l’œil et de faire des grimaces au trio [de chiens], et l’une de mes expressions de physionomie a tellement irrité madame [une chienne que Lockwood qualifie plus tôt de « scélérate »] qu’elle est entrée soudain en furie et a sauté sur mes genoux ». Quand le propriétaire est de retour et qu’il interroge Lockwood afin de savoir si ce dernier a été mordu, la réponse est : « Si je l’eusse été, j’aurais laissé mon empreinte sur le mordeur ».
Terminons avec cet échantillon savoureux : « J’ordonnai à ces mécréants de me laisser sortir avec des menaces de représailles aussi incohérentes que variées et qui, par la profondeur et le vague de leur virulence, faisaient songer au roi Lear ».En bref, lecture fort stimulante qui a aussi l’avantage de me tirer du tumulte du monde actuel pour me conduire ailleurs. « Anywhere but here », comme l’aurait dit Baudelaire.

7 commentaires:

Ariane Gélinas a dit...

J'ai la même édition, un excellent choix... surtout en cet automne où le vent se fait souvent impétueux ! Vivement d'avoir ton avis sur le roman en entier !

Danger Ranger a dit...

Un excellent roman! Je l'ai attrapé une fois, attiré moi aussi par son titre, dans la bibliothèque d'un ancien coloc, et j'ai aussitôt été happé par sa force, puis obnubilé par la sourde rage de Heathcliff, et enfin plus que satisfait par la profondeur narrative de ce récit dont l'histoire est rendue de façon complexe sans que les procédés de retours en arrière et de flash-forwards (ou analepses et prolepses) ne paraissent gratuits.

Fascinant, quand on pense à l'âge de Brontë quand elle a écrit ça et au fait qu'elle n'avait pratiquement jamais quitté son lieu de naissance... Quel talent, et quelle sensibilité!

Je me promets de relire ça en version originale.

Frédérick a dit...

Merci à vous deux pour vos commentaires. J'ai poursuivi ma lecture hier soit devant un feu crépitant, ce qui était absolument approprié. Le narrateur racontait deux cauchemars et, troublé par l'atmosphère des lieux où il séjournait, crut même apercevoir un fantôme, dans une scène assez saisissante...

En effet, cher DANGER RANGER, j'ai aussi remarqué que l'âge de l'auteure n'a en rien amoindri la finesse de son travail...

Danger Ranger a dit...

Gare au spam...

Frédérick a dit...

En effet ! C'est la première fois qu'on me faisait le coup du spam en idéogrammes, cependant !

Mek a dit...

Quel chouette blogue je découvre ce matin ! Hop, dans ma blogliste ! Je reviendrai.
:0)

Frédérick a dit...

Merci beaucoup pour ce sympathique commentaire. Bienvenue ici !