01 août 2012

Trois petits cochons s'en allaient en banlieue


            Les Verrats, ce sont trois amis, David, Marco et Samuel, petits délinquants dont les errances et les méfaits se trouvent au cœur du dernier roman d’Edouard H. Bond, auteur de Prison de poupées et de Maudits (Coups de tête).
Saluons d’emblée l’initiative de VLB d’éditer le dernier roman d’Edouard H. Bond. Il fallait de l’audace pour publier ce livre au contenu cinglant – audace méritoire : l’auteur a l’une des voix les plus personnelles de la littérature québécoise contemporaine. Il possède un style, des thèmes, une esthétique et un univers immédiatement reconnaissables. Le rapport de Bond à la langue québécoise, par exemple, constitue l’une de ses particularités (il utilise le « joual » de façon créative), de même que son intérêt pour la notion de transgression au sens large, que l’on retrouve dans ses autres livres.
            À la différence de ses deux romans parus chez Coups de tête, Bond opte ici pour une approche plus sociologique et néoréaliste, en évitant les écueils du didactisme et de la prise de position morale (le 4e de couverture peut donner cette impression, mais il n’en est rien à la lecture du livre).
            Le lecteur pourra parfois songer à Virginie Despentes (première période) pour les protagonistes, leur langue vernaculaire, leur mode de vie anarchique et leur rapport à la criminalité. Cependant, les romans de Bond sont plus éclatés que ceux des Despentes ; ils se permettent des apartés et des dérapages contrôlés qui évitent une narration trop linéaire. Fait intéressant à signaler, ils s’inscrivent aussi dans la continuité de certains genres peu fréquentés par les auteurs québécois : les récits de prison pour son premier titre (une « bande-annonce » du roman circulait d’ailleurs voilà quelques années, utilisant la musique et quelques images du film de Jess Franco 99 Women), le « slasher » pour son deuxième opus et, dans ce cas-ci, les récits de délinquants juvéniles dont le cinéma américain de série B a fait grand cas, notamment au courant des années 50. 
            Le résultat est une littérature punk et incisive, fortement ancrée dans le Québec contemporain. Par ses scènes d’excès et son refus des compromis, le livre n’est pas destiné à un public de lecteurs timorés. Même en étant prévenus, il faut s’attendre à être secoués, mais cela me semble être salutaire : la littérature devrait être un concentré de vie et d’intensité, et non le contraire – encore plus à une époque où elle subit la concurrence des médias audiovisuels.
            Au chapitre des qualités du roman, soulignons ses protagonistes, tantôt mal dégrossis, tantôt tendres, simultanément cyniques et naïfs, blasés et en quête d’un absolu inaccessible. La fin du roman laisse une impression à la fois triste (le narrateur est lui-même victime du caractère « jetable après usage » des relations interpersonnelles – « Le party était fini », écrit-il en fin de course, phrase interprétable à deux niveaux), désabusée (la « sale gueule » du narrateur semble symboliser le résultat de l’ensemble du roman), mais non dépourvue d’humour (la toute dernière réplique du roman), d’une volonté de lucidité (les deux dernières pages) et de complicité amicale. Cette alliance de contradictions fait en sorte que l’ouvrage évite les raccourcis faciles et les évidences. La relation du narrateur avec le personnage de Gabriel (le frère de l’un de ses amis, qu’il admire) en fournit une illustration, ce qui nous vaut plusieurs scènes dont l’ambiguïté n’est pas le moindre des atouts. À d’autres moments, Bond se permet des excursions plus ou moins brèves à l’extérieur de son récit principal, excursions qui nous valent d’intéressantes surprises et qui témoignent d’une volonté de pratiquer une littérature libre – ainsi, l’allusion à La Cannibale de Repentigny que saisiront les habitués de l’auteur.
            Enfin, et ce n’est pas la moindre des qualités, le livre se lit d’une traite, comme c’est le cas des autres romans de Bond. Les lecteurs qui cherchent une littérature intense seront donc avisés de se procurer ce roman en attendant les prochains opus de Bond.
           

1 commentaire:

comment grossir a dit...

de très bons morceaux choisis sur la banlieue ;-)