09 septembre 2007

Le sublime et la beauté - réflexions sur l'esthétique gothique

Après avoir donné la "recette" du roman noir, je vous invite aujourd'hui à partager avec moi quelques réflexions glanées dans l'ouvrage de Gavin Baddeley, Gothic : la culture des ténèbres (Denoël) :

"Le concept de camp (en français, ce qui s'en rapproche le plus est le dandysme) est essentiel pour qui souhaite appréhender l'esthétique gothique […]. En vérité, l'essence du camp réside dans son attachement à tout ce qui est affecté, artificiel, exagéré. Il s'agit […] d'un amour pour tout ce qui est outrancier, du côté décalé des choses-qui-sont-ce-qu'elles-ne-sont-pas… Le camp équivaut à toujours appréhender le monde d'un point de vue esthétique. Il incarne la victoire du "style" sur le "contenu", de l'"esthétique" sur la "moralité" […]. La personnalité camp aborde avec gravité quelques questions apparemment triviales alors qu'elle considère le cœur léger certains problèmes sérieux […]"J'ai trouvé ces réflexions assez intéressantes, reconnaissant ma démarche sur plusieurs plans. Les habitués de cette page personnelle savent par exemple que j'apprécie un certain cinéma dépourvu de budget, un cinéma "bis", marginal, sauvage, hors-normes, où l'esthétique et le style priment. Le cinéma est une affaire d'argent, mais les films de série B parviennent à s'extraire du moule parce qu'ils ne coûtent pas cher... Le réalisateur n'a donc pas besoin de justifier sans cesse sa démarche auprès d'un producteur avide de rentabilité. C'est qu'à Hollywood (Mecque du cinéma commercial... et non de la série B, bien sûr), il faut que ce soit payant... On veille donc à niveler, à ménager certaines sensibilités (on tourne 3 fins et on garde celle que le public préfère, on fait du placement de produit, changeant l'oeuvre d'art en pub déguisée, les scénarios sont supervisés par des analystes en marketing, on donne dans la démagogie et les bons sentiments. Résultat : un brouet infâme et imbuvable). Bien sûr, on me dira qu'il existe un cinéma de répertoire de qualité, mais j'ai tendance à croire qu'il pêche par excès contraire. Si la forme est belle, le contenu, lui, est très souvent pénible et pontifiant : "Mon film veut prouver que le problème du couple moderne est l'incommunicabilité", "C'est une allégorie sur la société de consommation", etc. En bref, cette fois, on veut séduire les critiques et un public supposément raffiné en faisant du cinéma "intelligent", qui véhicule un message. Mais est-ce le but du cinéma ? Personnellement, j'en doute... À mon sens, cela relève plus de l'essai, du journalisme, de la philosophie, mais pas du cinéma... ou de la littérature dite narrative. Ce qui ne veut pas dire que la littérature doit se borner à divertir.Donc, le camp fait prévaloir l'esthétique sur la moralité (opinion que j'endosse), impose un style fort qui DEVIENT le contenu et renverse certaines valeurs.

Gavin Baddeley, suite:

"Pour en revenir à la [culture] goth d'aujourd'hui, la société dominante considère comme suspect tout intérêt porté à l'interdit et au mystère, toute propension à la sensibilité, à l'introspection et au noctambulisme, bref tout ce qui caractérise le mouvement […]. Quand les gens vous qualifient moqueusement de vampire ou de sorcière, pourquoi ne pas leur couper l'herbe sous le pied en endossant le rôle avec délectation ?

Les premiers auteurs gothiques de la fin du XVIIIe siècle et du début du XIXe siècle affichèrent le goût pour ce que l'un d'eux, Horace Walpole, qualifia de "mélancolie" des ruines gothiques et des superstitions médiévales.

Pourquoi des choses monstrueuses devraient-elles nous plaire ? […] C'est dans une brochure de 1756, rédigée par le politicien et philosophe Edmund Burke et intitulée Recherche philosophique sur l'origine de nos idées du Sublime et du Beau, que les auteurs gothiques trouvèrent la première grande justification de leur corpus. Pour Burke, deux idéaux s'affrontent : d'une part, le Beau conventionnel, qui nous attire en combinant ordre et culture classique ; d'autre part, ce qu'il nomme le "Sublime", violent, effrayant et captivant, concept qui fut par la suite associé à la culture gothique. Une clairière ensoleillée dans les bois peut être qualifiée de belle, alors qu'un cimetière abandonné sous un orage déchaîné incarne le sublime. La beauté séduit en contentant le spectateur, alors que le sublime stimule en le dérangeant ou en le submergeant."

Et c'est justement par ce choc que la littérature noire fait réfléchir le lecteur, par lui-même, sans le tenir par le main. Si nous sommes choqués par un film, c'est qu'il remet certaines de nos limites en question. S'interroger sur ces limites, c'est le début d'une réflexion critique qui nous situe dans le monde en tant qu'individu doté d'une sensibilité personnelle...Je pourrais continuer longtemps ainsi, mais mon but aujourd'hui n'était pas d'écrire une somme philosophique sur la question. Il s'agissait plutôt de poser certains jalons de réflexion pour accompagner votre voyage insolite sur ce blogue.

6 commentaires:

S@hée a dit...

Je goûte particulièrement aux dfinitions d'Edmund Burke sur le beau et le sublime.

C'est aussi le cas pour le visage des gens que l'on croise: sur le lot de visages ordinaires, on distingue quelques très beaux visages qu'on apprécie un moment et d'autres laids ou même très laids qui sont réellement fascinants.

On est en quête de perfection, mais c'est l'imperfection qui nous bouleverse vraiment. Nous n'en somnmes pas à un paradoxe près.

Sur ce je termine, c'est l'heure d'aller chercher ma petite à la pré-maternelle.

Frédérick a dit...

En effet, la perfection, dans son aspect trop "lisse", peine parfois à retenir l'attention. Comme si, en définitive, elle n'avait pas ce qui est nécessaire pour retenir l'attention... comme ces pages de magazines en papier glacé qu'on feuillette distraitement, sans trop s'y arrêter.

En ce sens, ton observation rejoint cette phrase d'André Breton, une pierre angulaire à retenir, à mon sens :

"La beauté sera convulsive ou ne sera pas".

S@hée a dit...

"Langevin se tut, et seuls les pleurs de Bier brisèrent les os du silence" - Au rendez-vous des courtisans glacés, Frédérick Durand, 2004.

J'ai particulièrement aimé cette phrase. Je la trouve très poétique.

D'ailleurs, à ma grande surprise, le roman m'a envoutée.

Je ne suis pas fan de la violence extrême, au contraire. Habituellement, elle me heurte, me froisse et me déplaît, me rend mal à l'aise. Certains livres de Patrick Sénécal, par exemple, me dérangent. Par contre, dans les Courtisans, rien ne me heurtait. Comme si j'avais été plongée dans l'atmosphère différente et que c'était correct, plutôt que d'assister avec mon intellect au spectacle de la violence.

Bravo.

(ps j'espère que ça ne veut pas dire qu'il est trop tard pour moi et que je suis aspirée dans l'univers des courtisans...)

Frédérick a dit...

Tout d'abord, merci d'avoir pris le temps de me transmettre ces commentaires. Tu le sais sans doute déjà, les commentaires de lecture sont toujours précieux... et puis ça peut tellement aider à motiver, surtout quand on est dans une mauvaise passe (ce qui m'arrive trop souvent cette année, sans entrer dans les détails).

Je suis content que tu aies apprécié certains aspects poétiques du roman. C'est d'ailleurs un aspect qui prime de plus en plus dans certains de mes livres, et qui a atteint son apogée dans mon roman inédit LA NUIT SOUPIRE QUAND ELLE S'ARRÊTE...

Je te dirais que, malgré ce que je peux écrire, je suis très sensible à la violence, qui me heurte moi aussi, qui me secoue... Mais elle est là, avec cette nécessité d'être dite, exprimée avec toute sa force.
Pour moi, donc, ce ne sera jamais de la complaisance, car je "vis" ce que j'écris.

On m'a dit, à propos de l'écriture des courtisans, qu'il y avait une écriture "enveloppante". C'est peut-être ce qui permet à cette violence de passer... ou le contexte du roman...

Quant à être aspirée de l'univers des courtisans... non ! Bien sûr...! Et je ne le souhaiterais à personne !

Au plaisir !

S@hée a dit...

Écoute, si ça peut te sortir de ta mauvaise passe, je ne me gênerai pas alors...

J'ai trouvé que tu avais une écriture simple, accessible, mais inteligente aussi. Tu parles d'un sujet que tu connais (les films de série B) et ça paraît. Tu glissais souvent des détails à ce sujet dans ton texte et c'était agréable.

J'ai bien hâte de lire LA NUIT SOUPIRE... Tu en es où avec celui-là?

Frédérick a dit...

LA NUIT SOUPIRE est terminé. Je ne l'ai envoyé qu'à un éditeur pour le moment, LA VEUVE NOIRE ÉDITRICE, qui a publié mes plus récents livres fantastiques.

Bien que j'aie beaucoup apprécié ma collaboration avec JCL, je crois qu'il ne publie pas de romans fantastiques/surréalistes.

C'est un livre très radical, sans aucun compromis, qui pousse ma démarche encore plus loin dans le domaine de l'étrange. En ce sens, il n'est pas très "commercial", mais le résultat correspond vraiment à ce que je voulais faire.