11 août 2012

La peur comme thérapie

Extrait d'un entretien accordé au journaliste Alexandre Poncet 
par le réalisateur, acteur et maquilleur Tom Savini :

"Le cinéma d'horreur [...] est bon pour la santé. Tous les endocrinologues vous le diront : les décharges d'adrénaline que libèrent les films d'horreur ou les tours de montagnes russes s'accompagnent de réactions chimiques qui combattent le cancer. Regarder un film d'horreur coûte donc beaucoup moins cher qu'un traitement médical de pointe".

06 août 2012

Fantasia 2012

 
Année après année, le festival Fantasia continue à se démarquer en présentant des films audacieux lors de projections souvent festives. Des invités de marque sont présents et offrent au public l’occasion de se constituer une réserve de souvenirs précieux et uniques. Cette année encore, l’événement s’est distingué par son atmosphère, sa programmation et ses séances animées. Le programme officiel du festival lui-même annonçait la couleur avec éloquence : il compte presque 400 pages ! On peut le parcourir comme un livre consacré au cinéma de genre ou comme l’un de ces fanzines qui, à l’instar de Médusa, réunit dans un joyeux chaos films d’arts martiaux, épouvante, fantastique, science-fiction et bien d’autres encore.
Les habitués de ce blogue le savent : mon emploi du temps et ma localisation géographique (Trois-Rivières) ne me permettent pas toujours de fréquenter le festival aussi assidûment que je le souhaiterais, mais j’y vais néanmoins chaque année. Le week-end dernier fut donc l’occasion de ce ressourcement annuel, avant que ne déferle (et ne nous emporte) la grande vague de l’automne. 
 
J’aurais aimé pouvoir assister à certaines projections, notamment celles organisées par la Cinémathèque québécoise. On pouvait y voir en vrac Les Centurions de l’an 2001, film futuriste de Lucio Fulci vu jadis en VHS dont je n’avais pas compris la fin. Peut-être aurais-je décrypté ce qu’elle signifiait cette fois. Toujours est-il qu’on y reconnaissait notre cher Fulci, teigneux, imprévisible, parfois hésitant, mais certainement capable de laisser sa patte sur n’importe quel petit film de série. Côté « psychotronique », on y diffusait aussi Le choc des étoiles de Luigi Cozzi, nanar atomisé et cosmique dont l’héroïne se nomme Stella Star, rien de moins ; n’oublions pas Les guerriers du Bronx, l’un des plus divertissants films du genre « post-apocalyptique » dans lequel, à la façon d’un jeu vidéo avant la lettre, un groupe  de rebelles doit traverser une succession de territoires souterrains en affrontant leurs habitants (je vous laisse le soin de découvrir de qui il s’agit) ; que dire, aussi, du Dr Jekyll et les femmes de Walerian Borowczyk, cinéaste respecté, mais dont les prétentions et l’aspect bourgeois m’ont toujours rebuté ? On y voit, en tout cas, deux figures cultes qui, à elles seules, justifient de découvrir cette œuvre : Howard Vernon et Udo Kier.

Vendredi

Nous sommes arrivés à Montréal vendredi après-midi, Ariane et moi. Après quelques heures passées dans les bouquinistes (maigre récolte, pour ma part : un livre de la série de romans post-apocalyptiques Le Survivant, à recommander aux amateurs de kitscheries littéraires musclées), nous avons rejoint l’ami Patrick pour un souper convivial.
Ce fut ensuite le moment de gagner le Theatre Hall et d’assister à notre premier film : Lobos de Arga (que le distributeur international a bêtement renommé Game of Werewolves, un choix d’ailleurs décrié par le réalisateur, Juan Martinez Moreno, lors de la période de questions/réponses qui a suivi la projection du film – ledit distributeur affirme que ce titre est plus commercial ; a-t-il un certain Game of Thrones en tête?).
Étant amateur du cinéma ibérique pour son aspect débridé (au point de vue idéologique, mais également par rapport aux libertés scénaristiques et visuelles souvent présentes dans ce cinéma), j’étais curieux de découvrir cette comédie qui a pour thème la lycanthropie.
Le résultat est agréable, mais assez léger. Le scénario suit les déboires d’un écrivain plus ou moins raté de retour dans le village de son enfance et en proie à une malédiction. Les ingrédients classiques du genre sont présents : bourg intemporel, villageois superstitieux, décors ruraux à l’ancienne, avec ruines et souterrains…  Malgré un budget modeste, Moreno (qui a mis quatre ans à « monter » ce film) parvient à un résultat sympathique. À l’actif de son film, on notera une photographie esthétique que les lieux de tournage contribuent à mettre en valeur (et vice-versa !), des maquillages de loups-garous à l’ancienne (Moreno refuse les effets par ordinateur), quelques ingénieuses trouvailles humoristiques, des personnages amusants (notamment un chien présent dans presque toutes les scènes) et des variations plaisantes sur les éléments propres au genre. Un petit film soigné et appréciable.
À 22 H 00, ce fut ensuite New Kids Turbo (une production des Pays-Bas), également une comédie. Si vous connaissez la série canadienne Trailer Park Boys, vous avez une petite idée des personnages qui peuplent ce film, lui-même tiré d’une série culte en son pays. Les anti-héros en titre sont cinq chômeurs qui ne veulent désormais plus rien payer. Les conséquences de cette décision dépasseront toutes leurs espérances…  Le moteur de l’humour, cette fois, ce sont les personnages, de même que l’énormité des situations racontées. Les réalisateurs-scénaristes (Steffen Haars et Flip Van der Kuil) s’ingénient aussi à enfreindre un maximum de tabous. Rien ne sera donc épargné – dans l’optique, bien sûr, d’une comédie qui refuse le politiquement correct et vise à amuser par son attitude irrévérencieuse et excessive à l’égard de… tout !  Pour apprécier New Kids Turbo, il faut le prendre pour ce qu’il est (une comédie outrancière), mais, de temps en temps, un tel bain d’humour incendiaire aide à s’évader et peut s’avérer… défoulant !

Samedi

Après une nuit de sommeil agitée (canicule oblige) et un souper du samedi en compagnie des amis Carmélie et David, nous retrouvons Patrick pour la projection de Grabbers, production anglo-irlandaise dont l’action se déroule dans un petit village de pêcheurs irlandais pittoresque. L’endroit, entre autres peuplé par quelques ivrognes hauts en couleurs, subit l’attaque de créatures extraterrestres qui se nourrissent de sang humain. Ces êtres ont une faiblesse : ils ne peuvent tolérer l’alcool, toxique pour eux. Est-il besoin d’en dire plus ? Encore une fois, la légèreté fut au rendez-vous. À l’actif du film, on signalera ses décors dépaysants (que le grand écran permettait de contempler pour un effet maximal), ses personnages pittoresques et colorés et son idée de base. Malgré cela, ce long-métrage n’est pas à l’abri de passages à vide, entre autres à cause de certaines scènes un peu trop longues, d’évidences auxquelles trop de temps est consacré et d’une inspiration humoristique inégale (certains clichés de la comédie traditionnelle ne sont pas évités). Un film correct et agréable, en somme.
 
Notre visite à Fantasia s’est terminée par la découverte de Excision, film américain de Richard Bates Jr. Il s’agit du prolongement d’un court-métrage que le cinéaste avait présenté à Fantasia voilà quelques années. Excision en reprend les grandes lignes scénaristiques, tout en modifiant certains éléments. Ce qui m’a le plus surpris du film, c’est son interprétation : Traci Lords, Malcolm McDowell, John Waters, Ray Wise… La palme va sans doute à Traci Lords, efficace dans le rôle d’une mère autoritaire. Excision suit le parcours d’une adolescente tourmentée, Pauline, en proie à des fantasmes qui entremêlent sexualité, violence, confusion identitaire et transgression. Portrait d’une famille dysfonctionnelle, ce thriller se veut provocant. Le film n’est pas sans failles. Une réalisation fonctionnelle (champ/contre-champ se succèdent) en dessert l’aspect cinématographique au profit d’une esthétique parfois trop télévisuelle ; le ton du film est également hésitant : s’agit-il d’une comédie ? d’un drame ? des deux à la fois ? ; quelques incohérences sont enfin à souligner en ce qui a trait au caractère de Pauline. Cela étant dit, le film a l’avantage de ne pas être ennuyeux et de susciter certains questionnements chez le spectateur.
 
Au final, vous aurez compris que ma visite à Fantasia, cette année, ne m’a pas réellement permis d’avoir un coup de cœur pour l’un de ces quatre films. Comme d’habitude, j’ai cependant apprécié l’ambiance, l’état d’esprit et les conditions de visionnement (passons charitablement sur les sièges du Theatre Hall dont la dégradation se poursuit d’année en année de manière chaque fois plus… éprouvante – l’horreur s’y réfugie parfois de façon plus intense que sur l’écran !).  En outre, l’occasion d’entendre parler réalisateurs, acteurs et artisans du milieu cinématographique vaut la peine d’être saisie. Il reste encore quelques jours au festival ; si vous êtes dans les environs de Montréal, profitez-en pour aller y faire un tour, vous ne le regretterez pas.

Merci à l’équipe de Fantasia, notamment à Simon Laperrière, Patrick Lambert, Nicolas Archambault et Kevin Laforest.

01 août 2012

Trois petits cochons s'en allaient en banlieue


            Les Verrats, ce sont trois amis, David, Marco et Samuel, petits délinquants dont les errances et les méfaits se trouvent au cœur du dernier roman d’Edouard H. Bond, auteur de Prison de poupées et de Maudits (Coups de tête).
Saluons d’emblée l’initiative de VLB d’éditer le dernier roman d’Edouard H. Bond. Il fallait de l’audace pour publier ce livre au contenu cinglant – audace méritoire : l’auteur a l’une des voix les plus personnelles de la littérature québécoise contemporaine. Il possède un style, des thèmes, une esthétique et un univers immédiatement reconnaissables. Le rapport de Bond à la langue québécoise, par exemple, constitue l’une de ses particularités (il utilise le « joual » de façon créative), de même que son intérêt pour la notion de transgression au sens large, que l’on retrouve dans ses autres livres.
            À la différence de ses deux romans parus chez Coups de tête, Bond opte ici pour une approche plus sociologique et néoréaliste, en évitant les écueils du didactisme et de la prise de position morale (le 4e de couverture peut donner cette impression, mais il n’en est rien à la lecture du livre).
            Le lecteur pourra parfois songer à Virginie Despentes (première période) pour les protagonistes, leur langue vernaculaire, leur mode de vie anarchique et leur rapport à la criminalité. Cependant, les romans de Bond sont plus éclatés que ceux des Despentes ; ils se permettent des apartés et des dérapages contrôlés qui évitent une narration trop linéaire. Fait intéressant à signaler, ils s’inscrivent aussi dans la continuité de certains genres peu fréquentés par les auteurs québécois : les récits de prison pour son premier titre (une « bande-annonce » du roman circulait d’ailleurs voilà quelques années, utilisant la musique et quelques images du film de Jess Franco 99 Women), le « slasher » pour son deuxième opus et, dans ce cas-ci, les récits de délinquants juvéniles dont le cinéma américain de série B a fait grand cas, notamment au courant des années 50. 
            Le résultat est une littérature punk et incisive, fortement ancrée dans le Québec contemporain. Par ses scènes d’excès et son refus des compromis, le livre n’est pas destiné à un public de lecteurs timorés. Même en étant prévenus, il faut s’attendre à être secoués, mais cela me semble être salutaire : la littérature devrait être un concentré de vie et d’intensité, et non le contraire – encore plus à une époque où elle subit la concurrence des médias audiovisuels.
            Au chapitre des qualités du roman, soulignons ses protagonistes, tantôt mal dégrossis, tantôt tendres, simultanément cyniques et naïfs, blasés et en quête d’un absolu inaccessible. La fin du roman laisse une impression à la fois triste (le narrateur est lui-même victime du caractère « jetable après usage » des relations interpersonnelles – « Le party était fini », écrit-il en fin de course, phrase interprétable à deux niveaux), désabusée (la « sale gueule » du narrateur semble symboliser le résultat de l’ensemble du roman), mais non dépourvue d’humour (la toute dernière réplique du roman), d’une volonté de lucidité (les deux dernières pages) et de complicité amicale. Cette alliance de contradictions fait en sorte que l’ouvrage évite les raccourcis faciles et les évidences. La relation du narrateur avec le personnage de Gabriel (le frère de l’un de ses amis, qu’il admire) en fournit une illustration, ce qui nous vaut plusieurs scènes dont l’ambiguïté n’est pas le moindre des atouts. À d’autres moments, Bond se permet des excursions plus ou moins brèves à l’extérieur de son récit principal, excursions qui nous valent d’intéressantes surprises et qui témoignent d’une volonté de pratiquer une littérature libre – ainsi, l’allusion à La Cannibale de Repentigny que saisiront les habitués de l’auteur.
            Enfin, et ce n’est pas la moindre des qualités, le livre se lit d’une traite, comme c’est le cas des autres romans de Bond. Les lecteurs qui cherchent une littérature intense seront donc avisés de se procurer ce roman en attendant les prochains opus de Bond.