02 octobre 2010

Richard Blade porte fièrement l'étendard des mauvais genres

Non, ce n'est pas le nom d'un groupe yé-yé des années 60, mais bel et bien une série de romans publiés sous la bannière "Gérard de Villiers présente", et qui compte à son actif pas moins de... 194 titres !Comme souvent, quand vient le moment d'aborder un sujet torrentiel, il est difficile de structurer et de canaliser ses idées, surtout dans le cadre d'une modeste entrée de blogue, qui se veut conviviale et à la bonne franquette, loin d'une étude universitaire du sujet.

Au fil des années, j'ai souvent eu l'occasion de voir la bannière "Gérard de Villiers présente" sur différents livres de littérature résolument populaire, que ce soit par l'entremise de la série d'espionnage SAS (que je n'ai d'ailleurs jamais lue, n'étant guère friand du genre) ou dans le cadre d'autres projets éditoriaux, entre autres une curieuse "Intégrale" des oeuvres du romancier français Serge Brussolo qui s'est arrêtée à une vingtaine de titres (alors que son oeuvre en compte environ cent-cinquante...).

Plus récemment, dans le cadre de mon billet consacré aux littératures "post-apocalyptiques", je vous entretenais de deux séries placées sous l'égide de GdV, soit Le Survivant et Jag. Lors de visites en librairie, j'ai maintes fois vu les romans de la série Blade, bradés à des prix plus ou moins dérisoires. Qu'est-ce que c'était ? Je ne m'étais jamais réellement posé la question jusqu'à plus récemment, lorsque la longévité de cette série m'a intrigué. Quelques recherches sur le web n'ont, en plus, guère révélé d'informations, à part des critiques disparates et un survol de la série par Thomas Bauduret. On y apprend qu'au départ, la collection était signée par différents auteurs anglophones (sous le pseudo collectif de "Jeffrey Lord"), puis qu'après une quarantaine de titres, des inédits de langue française ont permis à la série de se poursuivre, parfois sous des plumes surprenantes, comme celle, acérée, de la corrosive Nadine Monfils.Les titres de ces romans me faisaient souvent sourire par leur outrance à refuser la "respectabilité littéraire". On retrouve entre autres ces noms baroques et rébarbatifs typiques du genre "fantasy". Des exemples :

- L'EAU DORMEUSE DE DRAAD
- LES CINQ ROYAUMES DE SARAM
- LES DRAGONS D'ANGLOR
- LA TRIBU ROUGE DES KARGOIS
- LES ANDROÏDES DE MAK LOH


On est loin de Marguerite Duras... Je dois dire que le caractère "sériel" de ces titres m'amusait, mais était insuffisant à m'intriguer. Par contre, d'autres titres annonçaient un baroquisme plus séduisant :

- L'échiquier vivant du Hongshu
- La forêt carnivore de Jaghd

- Les Sept duchés du fleuve cramoisi

- L'empire des écailles
- Le soleil sous la terre

- Le cimetière des hommes-machines

- Les convulsions du temps

- L'agonie de la planète sans ciel

- Le collège des invisibles

- Planète carnage


À dose plus ou moins à intense, ces titres promettent tous quelque chose de curieux... Et puis, quelle série peut vraiment compter 194 titres sans se renouveler ?Pour me faire une idée, j'ai lu le premier volume, La Hache de bronze. On y fait la connaissance de Richard Blade, agent secret qui a toutes les qualités. La première page du livre profite de cette mise en situation pour nous présenter des pronostics sur le futur : Dans le London Times, "Blade lut qu'en l'an 2000, des animaux intelligents seraient sans doute utilisés pour certains travaux pénibles [...]. Un gorille contremaître dirigeant des équipes de chiens, de mulets et de chevaux ? Avec un chimpanzé à la comptabilité ?" Le supérieur hiérarchique de notre héros l'envoie visiter un scientifique bossu ("le plus grand savant de Grande-Bretagne") dans un labo souterrain (!) presque entièrement occupé par un ordinateur géant (le livre fut écrit en 1969). Pour la gloire de l'Angleterre, Blade accepte de se livrer à une expérience scientifique : on le branche littéralement à un ordinateur qui l'envoie dans un monde inconnu, qui existe autour de nous sans qu'on puisse le voir ("L'ordinateur a brouillé ses cellules cervicales de manière à lui permettre de voir, et d'exister, dans une dimension que nous ne pouvons ni voir ni comprendre, alors qu'elle est peut-être même autour de nous en ce moment même. Nous la traversons peut-être, en ignorant son existence. Pour parler plus simplement, ce n'est rien de plus que ce sifflet à chiens, que le chien entend mais que vous n'entendez pas. Le son est pourtant là !"). Et voilà, le tour est joué !Chaque aventure de Blade l'enverra dans une dimension différente, ce qui lui permettra d'évoluer dans des univers plus traditionnels ou plus éclatés. Bien sûr, ce premier tome de la série ne permet guère de juger de l'ensemble (forcément, les débuts sont toujours plus sages), mais déjà, la lecture ne manquait pas d'un certain piquant, rehaussé par un humour involontaire et par un aspect anarchique appréciable. Propulsé dans une dimension typiquement "fantasy", Blade rencontre un geôlier laid ("Un gaillard impudent aux cheveux clairsemés qui louchait atrocement et qu'un bec-de-lièvre défigurait") qui deviendra son allié, aux côtés d'une princesse revêche ("Elle planta ses poings sur ses hanches et le considéra d'un air exaspéré") et d'un homme d'armée homosexuel (qui passe son temps à dire à Blade : "J'ai de l'amitié pour toi") ! Ce quatuor "de choc" connaîtra des aventures plus ou moins débridées, au cours desquelles notre Blade titulaire devra entre autres combattre plusieurs ours dans une arène, faire connaître le plaisir à une reine vieillissante affublée d'une perruque qui ne tient pas en place (au terme de leur étreinte, Blade la laisse endormie, alors que "la perruque était tombée par terre et [qu']à la lumière vacillante de la chandelle, elle n'était plus qu'une vieillarde chauve à la figure peinte"), affronter un géant dans un cercle de flammes, sous les insultes d'une populace déchaînée, se libérer de l'emprise d'une sorcière qui tente de l'hypnotiser, etc. Un sacré programme, loin, très loin de l'autofiction... Au terme de ma lecture, une question troublante subsiste. Selon l'adage, "dis-moi ce que tu lis, et je te dirai qui tu es". Que dois-je comprendre ?Par ailleurs, en terminant, si vous voulez lire un texte assez amusant d'un collègue blogueur, allez visiter cette page du blogue du Docteur Pascal, où il nous confie pourquoi il ne sort plus guère au cinéma ces jours-ci. Difficile de lui donner tort, tant l'expérience qu'il décrit s'apparente hélas à un rituel obligé !