20 juillet 2010

Fantasia 2010


Depuis quelques années, je présente sur ce blogue un compte rendu du festival cinématographique Fantasia. Je ne dérogerai pas à la tradition cet été, puisque j'ai passé quelques jours là-bas la semaine dernière, prenant une pause momentanée de mes projets d'écriture.

Fantasia, donc, vénérable festival qui en est déjà à sa quatorzième édition ! C'est toujours un plaisir de revoir là des amis chers, entre autres Patrick "Buko-San" et Simon Laperrière, dont l'implication dans l'événement est plus significative chaque année. Cette édition 2010 avait aussi quelque chose de spécial, puisque Ariane m'y accompagnait, Ariane qui avait aussi l'habitude de fréquenter le festival de son côté, lors des années précédentes, comme il est possible de le constater en lisant son blogue.

Comme mes lecteurs le savent peut-être, mes visites à Fantasia sont souvent soumises à des contraintes d'horaire. Par exemple, malgré sa réputation de suite inférieure à l'original, j'aurais aimé pouvoir découvrir [REC 2] sur grand écran. J'aurais aussi aimé assister à l'hommage rendu au cinéaste anglais Ken Russell, réalisateur que j'avais découvert à l'adolescence avec beaucoup d'étonnement. Il n'a pas été possible d'assister à la projection de son classique The Devils... Revoir ce long-métrage baroque et flamboyant en présence de son créateur devait être une expérience...

Nous sommes arrivés jeudi le 15 juillet en soirée, en forme et énergiques, après une journée de travail bien remplie. Après les retrouvailles avec l'ami Patrick et une immersion dans l'atmosphère électrisante du festival, nous sommes entrés dans la salle J.A. de Sève pour assister à la projection de T.T. Syndrome, film serbe réalisé en 2002.Bilan : faux-départ ! Film bancal en dépit d'éléments intéressants (décors crasseux et urbains, quelques thématiques porteuses). T.T. Syndrome est une oeuvre hésitante, qui ne sait pas réellement ce qu'elle veut être. Le réalisateur se disperse entre les passages référentiels (comptine tirée du giallo, passages qui évoquent la mode des "films de torture" à la Hostel et consorts, tentatives isolées d'humour) et un scénario en forme d'énigme criminelle (qui est l'assassin ?). On a même osé courtiser la revue spécialisée Fangoria par l'entremise d'un graffiti très voyant qui orne un mur, sans doute dans l'espoir d'obtenir un article dans cette publication très corporative. D'autres citations usées parsèment le film, telle cette séquence vue maintes fois ailleurs et inspirée de Texas Chainsaw Massacre.

En échangeant nos impressions, nous patientons avant le début de Lemmy, documentaire consacré à la figure homonyme, emblématique du hard-rock. Le documentaire plaira sans doute aux fans : on y découvre le musicien dans différents contextes : au quotidien, avec son fils, en concert, avec d'autres légendes du rock, etc. Différentes mini-entrevues agrémentent le film, qui accuse toutefois une baisse vers le milieu, sorte d'hagiographie de Lemmy au cours de laquelle tous les intervenants ne tarissent pas d'éloges à son sujet sans réellement apporter d'arguments pour soutenir leur enthousiasme. Le film comporte malgré cela des moments assez amusants, mais d'autres laisseront songeur, comme la partie consacrée à la fascination de Lemmy pour la guerre et ses symboles. Il faut voir cette chambre dans laquelle le rocker entasse une impressionnante collection consacrée à ce sujet... Le public de Fantasia fut très expressif lors de cette projection, s'extasiant presque chaque fois qu'un musicien rock apparaissait. Notons qu'une partie du film se penche sur le groupe Hawkwind, formation de space-hard-rock intéressante à laquelle Lemmy participa au cours des années 70.Le vendredi, après une journée passée à bouquiner ici et là (pour une maigre récolte, hélas, mais sans négliger deux cadeaux précieux offerts par Ariane - l'édition originale d'un roman de Kurt Steiner et une BD Elvifrance, quoi d'autre ?), nous assistons à Sell Out, comédie musicale en provenance de Malaisie ! Décidément, il n'y a qu'à Fantasia que nous avons de telles perspectives...Malgré une idée intéressante (critique de la téléréalité par l'entremise d'une émission fictive et outrancière destinée à suivre en direct les derniers moments de personnes sur le point de mourir), le film s'essouffle après un début relativement dynamique. Les chansons, loin d'être aussi exotiques qu'on pourrait le croire, sont très américanisées et manquent du grain de folie qu'une telle entreprise aurait dû susciter. Quelques rires sont toutefois les bienvenus...

Ensuite, nous avons découvert, pantois, l'oeuvre la plus dérangeante que j'aie pu voir depuis longtemps, A Serbian film (2010), dont le périodique Mad Movies parlait récemment... Il est très difficile de décrire ce long-métrage sans trop en dire. C'est une descente aux enfers sadienne et horrifiante dans un univers qui devient de plus en plus glauque. L'un des organisateurs de Fantasia, le coloré Mitch Davis, a prévenu les spectateurs avant la projection : il s'agissait de l'un des films les plus perturbants et "confrontants" qu'il avait pu voir. Le programme du festival comparait en outre ce film à Salo (Pasolini). Bien sûr, le public a d'abord pris ce témoignage à la légère, mais le film n'a pas tardé à troubler plusieurs individus, qui ont quitté la salle. Une scène en particulier m'a paru extrêmement dérangeante, suscitant en moi un profond malaise. Comme voyage au bout de l'Enfer, c'est une réussite, mais c'est le genre de film à ne pas voir trop souvent (selon moi). Extrêmement nihiliste et déprimant, il est dépourvu de lumière et de métaphysique, contrairement à une oeuvre dure comme Martyrs, par exemple, dont l'intensité était mise au service d'une réflexion originale.

J'ai été moins convaincu par la présentation de l'équipe du film qui a suivi la projection. Les créateurs de A Serbian Film cherchaient à justifier les excès de leur oeuvre en disant qu'il s'agissait d'une "métaphore politique". Lors de la session de questions/réponses, le producteur, le réalisateur et le scénariste ont constamment présenté leur film comme une allégorie, répétant sans cesse la même idée... Était-ce à cause d'un malaise ressenti à l'égard de leur propre création, qu'ils pouvaient difficilement envisager de façon autonome ? Si l'intention première est bel et bien de faire un film politique, pourquoi le symbolisme (revendiqué) a-t-il pris toute la place, au risque d'occulter la réelle réflexion à ce sujet en présentant des faits politiques objectifs ? Cette présentation m'a donc laissé perplexe. J'aurais préféré qu'on admette, à la rigueur, deux niveaux de lecture au lieu de s'acharner à n'en présenter qu'un seul... Quant au film lui-même, malgré ses qualités indéniables, il n'est vraiment pas destiné au grand public, c'est le moins que je puisse dire.En comparaison, le classique Re-Animator, présenté à minuit en présence du réalisateur, du scénariste et d'un comédien (Jeffrey Combs) faisait figure de gentil divertissement. Lovecraft est ici traité de façon outrancière et humoristique. J'avais vu le film une seule fois, en 1988 ou 1989, j'en gardais donc un souvenir vague. L'adolescent que j'étais à l'époque avait trouvé l'adaptation agréable, mais avait été choqué par les libertés prises à l'égard de Lovecraft. Évidemment, ses excès gore et cartoonesques sont loin du célèbre écrivain de Providence. N'empêche : Re-Animator est un film constamment divertissant, inventif dans ses développements, amusant et bien interprété. J'estime que le réalisateur a beaucoup progressé depuis, affinant son propos. L'une de ses récentes transpositions à l'écran de Lovecraft, Dreams in the Witch House, est d'ailleurs une réussite incontestable, qui parvient à déplacer efficacement l'univers du célèbre auteur dans le monde contemporain...Lors de la séance de questions/réponses qui a suivi la projection, l'équipe du film fut fort généreuse en accordant au moins 45 minutes au public. Nous avons pu découvrir trois hommes créatifs, drôles et agréables. La soirée s'est d'ailleurs poursuivie par la projection d'un document inédit : l'ébauche de travail d'un nouveau projet du réalisateur Stuart Gordon. Nous avons toutefois dû quitter, assez fatigués par la longue journée !

Après nous être levés tard, samedi, pour récupérer, nous avons regagné les salles climatisées pour voir Brass Knuckle Boys, une comédie japonaise détaillant la reformation d'un groupe punk des années 1980... 25 ans après leur séparation ! Ce film léger mais divertissant se laissait regarder pour la comédie sans prétention qu'il est. Il aurait pu commenter avec plus de virulence l'industrie musicale contemporaine, mais tel n'était pas son propos. On écorche toutefois au passage la tendance emo de certains chansonniers contemporains assez mièvres, dont la banalité n'a d'égale que l'ennui qu'ils distillent.Ensuite, Blades of Blood, film d'arts martiaux coréen... Difficile de commenter longuement ce film très classique, heureusement découvert dans le grand Hall, qui en favorisait l'aspect spectaculaire grâce à son écran géant. Dans Blades of Blood, aucune surprise. Tous les clichés du genre y sont, sans que le réalisateur Lee Jun-ik cherche à les transcender, à les subvertir ou à y greffer une touche d'originalité. Le résultat ne risque guère de demeurer longtemps dans la mémoire.S'ensuivit une petite virée dans un pub en compagnie d'Ariane et de Pat, moment d'échange et de partage toujours apprécié... Pendant notre conversation, un groupe de reprises au répertoire chancelant interprétait des morceaux aussi disparates que le thème de Ghostbusters et L.A. Woman !

Dimanche, enfin ! La fatigue commence à être très présente. Après avoir bu une ou deux boissons énergétiques la veille, je sens la saturation, malgré le ginseng, la taurine et d'autres ingrédients du même acabit ! Virée en avant-midi au marché aux puces de Carignan avant d'aller rejoindre Patrick pour un souper rapide dans un restau asiatique. Puis, dernier film du festival auquel nous assistons : Feast of the Assumption. Ce documentaire suit un homme dont la famille fut victime d'un tueur en série, BTK. Malgré un sujet délicat, le réalisateur a paresseusement effectué son travail, involontairement irrévérencieux par moments, d'ailleurs. L'ensemble est donc brouillon, laissant de côté des éléments importants et n'aboutissant à aucune réflexion au sujet de ce qu'il présente. On en sort d'autant plus déçu que d'autres films du genre (Paradise Lost) s'avéraient passionnants.Nous avons un moment envisagé de rester pour un film supplémentaire, mais la fatigue a finalement gagné la partie... Qu'à cela ne tienne, nous reviendrons l'an prochain ! Car, au-delà des films que nous avons pu voir, Fantasia demeure avant tout un état d'esprit, une grande famille fébrile, avide de découvertes et de surprises, qui refuse le conventionnalisme et la banalité. Comment pouvons-nous résister à un tel appel ?

Merci à Simon Laperrière, Patrick, Ariane et l'équipe de Fantasia.